Aucune d’entre elles ne dispose cependant d’une université pluridisciplinaire qui garantisse aux jeunes Sahraouis un apprentissage scientifique de niveau supérieur, de même qu’il n’existe pas d’instituts spécialisés fournissant des formations diversifiées pour préparer les enfants de la région à être des professionnels qualifiés capables de combler et de gérer eux-mêmes les besoins de leur région dans différents secteurs sans avoir à recourir aux services des nomades recrutés dans le nord et dans le centre et qui ne perçoivent le Sud que comme un simple point de passage.
L’absence d’universités dans la ville de Lâyoune se répercute essentiellement sur les conditions de vie des filles sahraouies qui se retrouvent victimes d’une double injustice : D’une part, cette bureaucratie qui ne trouve pas nécessaire de créer une université à Laâyoune et, d’autre part, cette société conservatrice qui voit dans le départ des jeunes filles pour poursuivre des études supérieures un départ vers l’échec et la perdition. Et même dans le cas où la famille consentirait à envoyer sa fille poursuivre ses études supérieures, la pauvreté et la misère extrême barrent la route à ce projet. Par ailleurs, de nombreuses jeunes filles choisissent de partir vers des villes géographiquement proches de leur lieu de résidence telles que Agadir et Marrakech et ont une moindre préférence pour les autres.
Khadija est une jeune fille de vingt ans qui suit ses études à l’Institut Spécialisé en Gestion et Sciences Informatiques, l’unique établissement d’enseignement supérieur de la ville de Laâyoune, qui offre des perspectives professionnelles bien limitées demeurant largement en-deçà de nombreuses ambitions scientifiques, médicales et culturelles dans la région.
Avec un calme qui trahit de l’amertume dans sa voix, elle nous confie que ses études de commerce ne traduisent pas réellement son choix mais qu’il s’agit plutôt d’une contrainte. En effet, elle y a été acculée après que les siens ont refusé de la laisser partir continuer ses études universitaires dans une autre ville, sous prétexte que c’est trop loin et trop risqué pour une jeune fille. L’argument des divers dangers auxquels elle se trouverait exposée a fait pencher la balance à ses dépens et lui a coûté le parcours scientifique dont elle rêvait. « J’aurais tant aimé que ma ville dispose d’une université… Les choses auraient été tellement plus faciles ; je n’aurais pas été privée des études que j’aime, de même que ma famille n’aurait pas eu à porter le fardeau de m’en avoir privée ! », ajoute Khadija après un moment de silence.
La camarade de Khadija, Hayett Al Moussaoui, s’est montrée plus révoltée, sans doute pour avoir dû enterrer son rêve avant même qu’il ne voie le jour… Journaliste de vocation qui suit des études de commerce, Hayett nous parle de son droit au rêve auquel elle a dû renoncer, faute d’argent et de moyens de transports… Sa phrase laconique et tranchante résume parfaitement ce qu’elle doit ressentir : « S’il y avait eu un Institut du journaliste à Laâyoune, je n’aurais pas hésité une seconde à l’intégrer ». Elle a prononcé ces mots avec autant de détermination que de douleur dans les yeux.
Le cas de la jeune Manay, âgée de 22 ans et licenciée est différent. A cours de patience par les longs trajets qu’elle a souvent à parcourir entre Marrakech et Laâyoune et par les lourdes dépenses de transport et de logement, elle a été obligée de s’orienter vers L’Institut Spécialisé en Gestion et Sciences Informatiques. Profitant de notre porte-voix pour transmettre un message qui lui tient beaucoup à cœur : l’envie de trouver les moyens de poursuivre ses études supérieures, elle dit : « Je demanderais aux responsables qui liront cet article, de nous trouver une solution. Construisez une université ici ! Faites en sorte même qu’elle soit un établissement privé, ou n’importe quelle autre solution… J’ai tellement envie de poursuivre mes études mais parcourir un trajet de plus de 800 kilomètres relève désormais du cauchemar pour moi ! ».
Afin de mieux comprendre cette situation, nous avons contacté le Professeur Mohamed Lahbib, responsable en éducation et coach en développement humain et en culture de soi. Il évoque des raisons objectives liées à l’absence, dans la ville de Laâyoune, d’établissements universitaires, toutes disciplines confondues, et aux longues distances séparant la ville des universités les plus proches, ce qui représente un facteur déterminant dans l’amenuisement des chances des filles en matière de formation et donc forcément de travail.
Quant aux raisons subjectives, le Professeur Lahbib distingue deux niveaux : celui relatif aux jeunes filles elles-mêmes qui se trouvent paralysée par la peur d’affronter l’inconnu lointain et par un sentiment profond d’être incapable de s’intégrer, ainsi que par un sentiment d’impuissance devant la responsabilité à assumer. Le second niveau concerne les parents qui ont une représentation erronée du départ de leurs filles et de la vie qu’elles mèneraient à la cité universitaire.
Le coach en développement humain explique encore que la solution à tous ces problèmes serait possible en augmentant les campagnes de sensibilisation au profit des parents, ainsi qu’en éduquant les jeunes filles au sein même des familles à assumer leurs propres responsabilités, dans la mesure où la construction d’universités dans toutes les villes demeure tout de même difficile.