En effet, victimes de croyances légendaires qui attribuent à leurs organes des pouvoirs magiques pouvant être utilisés pour faire fortune, pour obtenir la santé et le bonheur ou pour soigner des maladies mortelles telles que le SIDA, ils sont régulièrement exposés à la persécution, à la torture, au meurtre et à l’enlèvement.
En Mauritanie, bien que la situation ne soit pas aussi tragique, les albinos vivent d’autres drames provenant principalement du fait qu’ils soient marginalisés et qu’ils aient beaucoup de difficultés à s’intégrer et à s’adapter pour vivre dans une société multiraciale qui perçoit comme des êtres inférieurs les personnes handicapées, en particulier celles qui ont des cheveux blancs comme du coton, des yeux le plus souvent bleus et cette peau immaculée et pâle qui distingue les victimes de l’albinisme des autres.
Selon l’organisation mauritanienne pour le soutien et l’intégration des personnes atteintes d’albinisme, la seule du pays à défendre la cause de cette population depuis 2012, il n’existe pas en Mauritanie de statistiques précises, ni même approximatives d’ailleurs, sur le nombre de personnes atteintes de cette maladie. La plupart d’entre elles vivent dans les régions qui longent le fleuve Sénégal et où l’on vit principalement d’agriculture et d’élevage. L’organisation affirme également qu’aucun recensement ni même un simple inventaire n’ont été faits pour le savoir.
Le président de l’organisation Nejib Ouelt Eddah Ouelt Alioua, un jeune trentenaire lui-même atteint de la maladie affirme : « Les Mauritaniens atteint d’albinisme trouvent d’énormes difficultés au niveau de l’intégration et de la scolarisation. C’est d’ailleurs dans le but de relever ces défis et de mettre fin à l’isolement des victimes qu’avec huit personnes appartenant à l’élite instruite de cette population nous avons fondé cette organisation. Notre objectif est de les soutenir, de les aider à s’intégrer et à créer une structure qui les encadre, étant donnée l’absence d’institutions qui les représentent ou qui défendent leur cause bien complexe ».
« Nous faisons l’effort d’improviser des actions qui impliquent les personnes atteintes d’albinisme dans les différents aspects de la vie quotidienne et nous revendiquons la garantie de leurs droits élémentaires, notamment à l’éducation et à des services de santé continus et durables. De plus, nous ne ratons pas une occasion ni une rencontre pour défendre notre cause et faire connaître notre situation particulière, de même que nous organisons chaque année des actions de sensibilisation avec des consultations médicales gratuites, aidés en ceci par des organisations de santé et par nos amis au sein de la société civile. Nous convions d’ailleurs les députés à assister à ces actions. Par ailleurs, nous avons présenté en 2014 une proposition à la Ligue des Maires Mauritaniens demandant à ce qu’ils nous aident à déléguer une caravane dans les chefs-lieux des provinces pour effectuer un recensement afin de délimiter avec précision le nombre des personnes atteintes de cette maladie en Mauritanie. Nous n’avons malheureusement reçu aucune réponse favorable jusqu’à ce jour », Ajoute le jeune président de l’organisation.
Par ailleurs, l’organisation mauritanienne pour le soutien et l’intégration des personnes atteintes d’albinisme énumère les difficultés rencontrées par les malades en les expliquant par plusieurs facteurs dont principalement leur intolérance à la chaleur et au temps qu’il fait en Mauritanie, ainsi que par l’isolement, le mépris et l’intolérance de la société envers eux. Ils souffrent également de myopie et de problème de vision en général de même qu’ils font état de plusieurs symptômes de maladies dermatologiques. C’est ce qui nécessite des consultations régulières auprès de médecins dermatologues et ophtalmologues. Tout cela sans compter les difficultés d’apprentissage au sein des écoles publiques communes dues à leur hyper-sensibilité à la chaleur, aux problèmes de vue et à l’intolérance de l’entourage qui ne comprend pas forcément les spécificités de la situation des malades de l’albinisme. C’est ce qui pousse d’ailleurs certaines familles à taire le fait qu’un de leurs enfants soit albinos et à le priver de soins et de scolarisation.
Le jeune albinos Nejib Ouelt Eddah Ouelt Alioua tient à nous faire part de sa propre expérience de la maladie, indépendamment de son activisme au sein de l’organisation. Il dit : « Les personnes atteintes d’albinisme sont exclues par la société à cause de leur couleur et de leur apparence. Quand j’étais élève au primaire, je me souviens que, les premiers jours, personne ne voulait s’asseoir à côté de moi et avec le temps, je suis devenu célèbre pour être celui dont personne ne veut. Cela n’a cependant pas empêché quelques élèves de m’approcher et de devenir mes amis, quoiqu’avec une certaines méfiance et quelque réserve que je n’ai jamais cessé de ressentir de leur part. Ce genre de comportements provoque chez nous un blocage psychologique important et fait que nous nous sentons proscrits dans notre propre pays ».
Ouelt Eddah Ouelt Alioua finit par s’interroger sur les raisons d’un tel traitement avant de poursuivre : « A part le fait que nous soyons atteints d’une maladie qui exige des soins et des contrôles continus et réguliers, nous sommes des personnes tout à fait normales et très intelligentes. Nous contribuons autant que nos forces et nos moyens nous le permettent à servir l’intérêt de la patrie. Ainsi, personnellement, je travaille depuis neuf ans comme instituteur. Tous mes élèves et tous mes collègues de travail m’aiment bien, tout comme je les aime d’ailleurs. Quand je suis en classe, j’oublie sans m’en rendre compte ma situation car l’affection de mes élèves, en plus de celle de ma famille et de mes proches bien entendu, sont le seul refuge où je ne me sens pas exclu. Il n’empêche que j’entends souvent raconter par mes amis atteints comme moi de cette maladie qu’ils ont beaucoup de mal à s’intégrer et que certaines familles refusent de leur accorder la main de leurs filles en mariage. Plusieurs autres problèmes sont également évoqués par les albinos qui se trouvent en proie au désespoir face à des obstacles qui les empêchent de trouver et d’exercer une activité professionnelle. C’est ainsi que, récemment, un concours a été ouvert par l’état au profit des personnes handicapées ; mais sur cent candidats, deux albinos seulement ont été reçus. La cause de cet échec est le faible taux de scolarisation parmi les personnes atteintes de cette maladie ainsi que l’impossibilité pour elles de tirer profit des cours dispensés dans les écoles publiques du fait qu’elles aient des troubles de la vision et que leur peau soit extrêmement sensible à la chaleur ».
Dr Mohamed ben Abdallah Ben Amden, qui est dermatologue à l’hôpital du Cheikh Zayed et secrétaire général du Syndicat National des Médecins Mauritaniens, explique que « malgré l’absence de statistiques, le nombre des personnes atteintes de cette maladie approche les cinq cas sur cent mille personnes. De plus, les personnes atteintes d’albinisme ont besoin de soins et de suivis médicaux spécifiques car la plupart d’entre elles finissent par avoir des cancers de la peau et des troubles de vue et d’ouïe. Le diagnostic se fait certes tôt mais, en Mauritanie, les malades tardent très souvent à consulter le médecin spécialiste et ne le font qu’après l’apparition de nombreuses complications. En effet, le temps qu’il fait chez nous ne leur est pas favorable, pas plus que les faibles revenus de la population et le manque de soutien de la part des autorités de tutelle ».
« Ce qui est inquiétant c’est que certains malades viennent consulter pour des complications soudaines et parfois passagères sans être suffisamment convaincus d’avoir un véritable problème de santé qui nécessite un suivi médical sérieux et régulier. Par ailleurs certains d’entre eux se trouvent parfois poussés par leurs conditions précaires à mendier tout au long de la journée sous un soleil de plomb qui leur brûle la peau. C’est pourquoi j’appelle les autorités à prendre en charge le traitement médical de ces cas, d’autant que les personnes pauvres sont celles qui s’exposent le plus aux complications de cette maladie », ajoute le dermatologue.