Grace à sa proximité de la capitale, le village a accueilli durant les dernières décennies plusieurs chefs d’Etat, dont notamment l’ancien président français Jacques Chirac et l’ancien chef libyen Mouammar Khadafi. En outre, plusieurs politiciens et hommes d’affaires mauritaniens y possèdent des terres et des maisons leur servant de résidences secondaires qu’ils visitent occasionnellement pour se reposer.
Le paysage s’est, soudain, métamorphosé suite à la décision des autorités mauritaniennes d’installer une décharge d’ordures sur une superficie de quatre kilomètres, à deux kilomètres du village qui a aussitôt été déserté par les visiteurs et même par certains de ses résidents préférant plier bagage. Ceux qui ont préféré rester subissent la pollution de l’air et l’entassement des ordures et craignent une catastrophe environnementale majeure, tant la situation est devenue alarmante.
Ahmed Mahmoud Tandagui, un des habitants de Tifirit et membre du mouvement contre l’installation de la décharge d’ordures nous raconte : « pendant l’été 2004, nous nous sommes soudain rendus compte que des bulldozers travaillaient près du village. Et quand nous nous sommes renseignés auprès des responsables du chantier, on nous a dit que les bulldozers préparaient le terrain à la construction d’une usine de plastique et de recyclage des ordures, source de postes d’emploi et de rentrées d’argent bénéfiques pour les habitants. Mais après la fin des travaux, nous nous sommes aperçu qu’on nous a roulés dans la farine. L’usine de plastique n’était, en fait, qu’une grande décharge pour les ordures de la capitale Nouakchott ».
Il poursuit : « en 2007, une firme française a commencé à utiliser le dépotoir, en y ramenant les ordures et en les traitant. Suite aux plaintes des habitants, la firme a fait appel à un expert français spécialisé en environnement pour qu’il puisse contrôler les différentes étapes du traitement des déchets et s’assurer de sa conformité aux normes internationales en la matière.
L’expert a même été accompagné par une délégation représentant les habitants du village, pour plus de transparence, et aucun hic n’a été remarqué durant cette période. Mais en 2014, un différend entre les autorités mauritaniennes et la firme française a poussé cette dernière à retirer ses experts et ses cadres et à arrêter les machines.
C’est ainsi que le dépotoir a fermé ses portes pendant un mois. Après le départ définitif de la société française, c’est le groupe urbain qui a pris en charge de nettoyer Nouakchott et de ramener les déchets dans la décharge du village, les jetant parfois hors de la zone indiquée, causant un vrai désastre pour les habitants».
Ahmed poursuit : « les camions du groupe urbain vident parfois les déchets sur le bas- côté… La région s’est vite transformée en véritable couveuse pour les mouches et autres moustiques… Sans parler des odeurs nauséabondes insupportables et des maladies qui se sont propagées tels que les infections cutanées, les maladies respiratoires, les cancers et la diarrhée ».
De son côté, Abdelwadoud Weld Hamada, qui a été arrêté et emprisonné suite à sa participation à un sit-in de protestation contre le dépotoir, raconte : «nous subissons l’air pollué et les odeurs nauséabondes depuis des années et notre calvaire ne fait que durer. On nous ment et on nous donne de fausses promesses constamment et la police nous moleste à chaque manifestation… L’année 2014 a été la plus dure pour nous et le périmètre de l’air pollué atteint les 40 km ce qui a poussé plusieurs habitants à quitter le village… Mais nous continuerons à militer jusqu’à la fermeture définitive de la décharge ».
Pour sa part, Mohamed Lamine Weld Mohamed, affirme : « nous sommes inquiets chaque fois que nous mangeons des produits animaliers parce que notre bétail broute au milieu des déchets dont des déchets médicaux et industriels… Les gens fuient le village et on a même signalé des malformations chez les nouveaux nés. La pollution ne touche pas uniquement le village mais a atteint toute la zone le reliant à la capitale… Même la flore a été touchée et les déchets se sont transformés en véritable bombe à retardement menaçant d’exploser à tout moment ». Et d’ajouter : « nous avons tenu bon face aux tentatives du groupe urbain de monnayer notre silence et nous continuerons à lutter jusqu’à la fin de ce calvaire… C’est une question de vie ou de mort pour nous ».
Par ailleurs, Me Cheikh Weld Hamdi, avocat de la partie civile, note : « en 2015, nous avons porté plainte devant les tribunaux contre le groupe urbain et la firme française pour les dégâts causés aux habitants… Le tribunal a demandé au ministère de l’environnement de lui fournir le rapport élaboré sur la décharge mais le ministère a refusé. Nous suivons de près le cours du procès et nous attendons le verdict de la cour suprême… Toutes les données sont en notre faveur et ce que fait le groupe urbain est contraire à la loi… Ils n’ont même pas de licence d’exploitation ».
Expert en environnement urbain et chercheur à la faculté des sciences à Nouakchott, Mohamed Salem Abdellatif affirme : « j’ai rendu visite à la décharge et je me suis aperçu qu’aucune des normes de l’environnement n’est respectée et que le personnel n’est même pas qualifié… Il est vrai qu’il était prévu de conformer le dépotoir aux normes selon un plan d’étendant jusqu’à 2018-2020 mais après le départ de la firme française tout était tombé à l’eau… L’Etat mauritanien n’a ni les cadres qualifiés ni le matériel requis ni le potentiel pour gérer ce genre de situations. L’absence de normes nationales en la matière a poussé l’Etat à se fier aux normes internationales ce qui est complètement illogique puisque ces normes internationales ne font pas partie des législations de la Mauritanie et ne sont, par conséquent, pas contraignantes ».
Il est à noter que la production des déchets en moyenne à Nouakchott, avec son million d’habitants, atteint les 237000 tonnes par an, ce qui nécessite une décharge aussi bien vaste que conforme aux normes ce qui représente un enjeu de taille.
Dr. Abderahmane Mohamed Mahmoud Rabbani, chercheur spécialisé dans l’environnement, affirme à ce propos : « installer un dépotoir de ce calibre près d’un quartier résidentiel est insensé et les problèmes qui en découlent sont innombrables… on peut citer la pollution de l’air à cause de la fermentation des matières organiques et l’émanation de gaz toxiques, la pollution de la nappe phréatique et l’apparition de plusieurs maladies. Il ne faut pas oublier que ces déchets contiennent des matières liés à la chimiothérapie, des médicaments périmés, des seringues et des gants contaminés. Sans oublier les problèmes que pourraient causer les métaux utilisés dans les services de radiologie tels que le mercure, le cuivre ou le cadmium ».