En effet, le long des cinq districts administratifs qui composent la province (Aleg, M’Bagne, Boghé, Bababé, Magtaa-Lahjar), on croise souvent des gamins que la pauvreté a poussés à déserter les établissements scolaires avant même de finir les cycles de l’enseignement de base. Le dénuement les contraint à déambuler, à bord de carrioles, à travers les rues et les ruelles, à la recherche d’une personne qui louerait leurs services contre quelques petits dirhams, une maigre solde qu’ils gagnent en apportant de l’eau potable dans des citernes, en transportant des bagages, en livrant de la marchandise vers une quelconque boutique ou encore en emportant des ordures dans une décharge. Quant aux filles, elles sont envoyées par leurs familles pour travailler comme des aides ménagères contre une modique somme mensuelle dont la valeur ne dépasse pas, au mieux, les 50 dollars, c’est-à-dire finalement contre un salaire inférieur au SMIC fixé par la loi du travail.
Yarb Weld Maatallah est un enfant de douze ans. Il dit avoir quitté l’école parce que rien ne l’encourageait à poursuivre les études, puisque ces dernières ne lui auraient pas apporté plus qu’un emploi qui lui permettrait de gagner de l’argent, ce qu’il peut très bien faire, très tôt, à bord d’une carriole ou à travers n’importe quel autre métier. De ce fait, il n’y avait plus de raison pour lui de perdre davantage de temps sur les bancs de l’école. Ce point de vue, il le partage à peu près avec son ami de toujours Yeslam Weld Mbarek qui pense que les études limitent sa liberté et ses envies personnelles mais qui pense aussi que la pauvreté et la misère ont joué un rôle déterminant dans l’interruption de son parcours scolaire.
La sonnette d’alarme tirée
Cet état des choses a poussé de nombreuses organisations de la société civile à tirer la sonnette d’alarme afin de faire éviter aux générations à venir le spectre d’un analphabétisme qui devient pratiquement inévitable du fait que des centaines d’enfants interrompent très tôt leurs études. Elles appellent à ce qu’on accorde plus d’attention aux milieux sociaux précaires, à ce qu’on vienne en aide aux enfants et à ce qu’on prenne soin d’eux de sorte que le fléau de l’abandon scolaire qui fait ravage parmi les élèves des deux sexes soit réduit.
Aicha Sidi Bi, présidente d’une organisation de la société civile qui milite pour protéger les droits des enfants affirme que son organisation assure déjà des programmes de sensibilisation contre le phénomène de l’abandon scolaire, de même qu’elle compte, en collaboration avec l’organisation « La Vision internationale », lancer un programme pour consolider les compétences des enfants au cours de l’année prochaine. Cependant leurs efforts demeurent insuffisants,dit-elle, étant donné le manque de coordination avec les autorités gouvernementales et les autres organisations de la société civile actives dans ce domaine.
Le rôle des conseils régionaux
À leur tour, les conseils régionaux ont commencé à se mobiliser contre cette menace. Certains ont d'ailleurs annoncé le lancement de projets et de programmes ayant pour objectif de limiter le nombre des enfants concernés par ce phénomène et de permettre à ceux qui ont dépassé l'âge limite des études primaires de suivre des formations professionnelles qui les aideraient à apprendre des métiers mieux rémunérés pouvant réellement améliorer leurs situation financière difficile.
Par ailleurs, le maire du district d’Aleg, Mohamed Weld Eswidet, qui est aussi le chef de l’Association Des Maires De La Province a annoncé le lancement d’un projet dans ce sens parallèlement avec la nouvelle rentrée scolaire. La première partie de ce projet consiste à faire bénéficier 800 élèves, filles et garçons, répartis sur quatre écoles, de la distribution de 4000 cahiers et de 1600 stylos. Dans un deuxième temps, le projet s’étendra aux écoles restantes avec, au cours de l’année, l’ouverture de centres spécialisés dans la consolidation gratuite des acquis en langues et dans les matières de base.
Weld Esswidet affirme également que sa mairie a préparé un projet d’études complet visant à améliorer les conditions d’enseignement dans sa circonscription électorale et comportant l’ouverture d’une école pilote qui propose un uniforme et une bourse mensuelle aux élèves en plus d’un plan pour l’intégration des adolescents dans l’enseignement professionnel.
Absence des statistiques officielles
Des sources de la Direction de l’Enseignement de Base de la région affirment qu’il n’existe pas de statistiques recensant avec précision le nombre des enfants qui abandonnent l’école mais qu’il semblerait cependant qu’ils soient des centaines à le faire chaque année et à tous les niveaux de l’enseignement primaire. L’abandon scolaire, expliquent-elles, commence à la cinquième année mais s’accentue à la sixième, notamment pour les élèves qui n’ont pas la chance de réussir du premier coup au concours d’obtention du certificat des études primaires.
Par ailleurs, ces mêmes sources assurent que des mesures officielles ont été prises afin d’améliorer le rendement du personnel enseignant ainsi que les conditions d’études dans les salles de classe en les équipant toutes de pupitres, en favorisant l’aération de l’espace et en astreignant les élèves à la révision assidue à travers les devoirs à faire à domicile. C’est d’ailleurs ce qui a permis à la région d’être classée première des provinces internes au cours de l’année dernière désignée par le président du pays comme « l’année de l’éducation ».
Néanmoins, les données dont dispose la Direction de l’Enseignement Préparatoire et Secondaire montrent que les taux d’abandon scolaire demeurent encore élevés chez les élèves qui préfèrent, pour la plupart, quitter l’école après l’obtention du certificat des études préparatoires afin de travailler comme infirmiers dans les hôpitaux, rejoindre l’armée et les forces de sécurité ou encore chercher d’autres métiers. Cela est d’autant plus fréquent que le règlement scolaire en vigueur dans ces établissements stipule que les élèves à trop faibles moyennes soient renvoyés en fin d’année.