Mon père est natif de Boghé, il a servi de longues années dans la province du Guidimakha (dans le sud mauritanien). Son ami d’enfance m’a approché un jour pour me dire combien mon père regrette de ne pouvoir me reconnaitre afin de vivre avec moi sous le même toit. Heureusement, je suis une femme forte et je suis parvenue, avec l’âge, à encaisser le coup.
La seule chose qui, aujourd’hui encore, me torture intérieurement, c’est le méchant regard de travers de certains et les propos narquois qui me sont adressés régulièrement par les coépouses de ma mère et par leurs filles » se plaint Mariem G une jeune femme diplômée en informatique, ayant décidé, résolument, d’assumer sa condition d’enfant hors mariage.
En Mauritanie, Mariem G n’est pas un cas isolé. Des milliers de personnes se trouvent confrontées à cette situation dramatique qui les prive de leurs droits les plus élémentaires et les condamne à vivre en marge de la société.
Il s’agit, généralement, d’enfants qui viennent au monde à la suite d’un rapport hors mariage, un viol ou un inceste. Ils sont, communément, appelés enfants illégitimes et ne sont pas reconnus par la législation mauritanienne.
Selon l’article Article 59 de la loi n° 2001-052 du 19 juillet 2001 portant code du statut personnel : L'enfant est affilié à son père s'il y a eu mariage légal, s'il y a eu possibilité des rapports conjugaux et s'il n'a pas été désavoué par les voies légales.
Madame Yande Sall femme leader et Présidente de l’ONG agir pour le bien-être des enfants et des personnes âgées et déficientes (ABEPAD) de préciser « les enfants issus de ces unions illégitimes s'ils survivent sont, dans le meilleur des cas, intégrés dans leur famille maternelle, au pire, rejetés ainsi que leurs mamans ».
C’est justement le rôle de médiation visant la réintégration familiale des mamans en désarroi que s’est assignée Mme Zeinabou Mint Taleb Moussa Présidente de l'ONG/Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l'Enfant (AMSME), Association avec statut consultatif auprès du conseil économique et social des Nations Unies ECOSOC et Directrice du Centre El Wafa pour les conseils et la prise en charge des femmes et enfants victimes de violences sexuelles Section DEI/Mauritanie.
« Ces trois dernières années nous avons enregistré 71 cas d’enfants nés à la suite d’un viol. Nous avons procédé à la réinsertion familiale de leur mamans, un suivi médical régulier de leur grossesse et leur accompagnement jusqu’à l’accouchement. Ensuite à défaut de pouvoir établir des papiers d’état civil aux enfants pour leur scolarisation, nous avons sollicité les Hakems des Moughatta pour leur établir des attestations» devait-elle indiquer.
Mais le refus de paternité est aussi lié à des démêlés entre époux se soldant par des règlements de comptes, la vengeance d’un mari cocu mais aussi l’irresponsabilité de certains maris qui disparaissent du foyer conjugal laissant leur épouse porter seule le lourd fardeau de l’éducation et l’entretien des enfants.
Il est également le fait des « mariages à la sauvette » des militaires, des fonctionnaires, des chauffeurs et autres Marabouts, qui contractent des mariages éclairs juste pour satisfaire leur insatiable libido. Les mariages Siri-ya (mariages secrets) sont à inscrire dans ce même registre. Dans un cas ou dans l’autre, les enfants qui naissent de ces mariages singuliers n’ont, très souvent, aucun lien avec leur père.
Il y a enfin le drame inhumain et atroce des enfants fruits du viol des esclaves par leurs maîtres. Cette pratique qui tend, heureusement à disparaitre, était très répandue dans le nord du pays où des femmes esclaves étaient considérées comme des objets de jouissance. Les enfants issus de ces relations ne bénéficient d’aucun droit à la paternité. D’ailleurs les revendications du mouvement abolitionniste IRA dirigé par l’activiste Birame Ould Abeid, mettent, exceptionnellement, l’accent sur cette atrocité vécue par les esclaves dans leur chair et dans leur sang.
Même s’il est quasi impossible d’établir des statistiques fiables permettant de mesurer l’ampleur du phénomène, vu l’épais voile de pudeur qui l’entoure, il n’empêche que selon Aziza Mint Muslim présidente du réseau des Organisations pour l’Assistance Sanitaire et Sociale du Tagant (ROASST), les enfants, vivant ce drame au quotidien, pourraient être estimés à plus de 3 % de la population mauritanienne.
« Nous avons recensé plus de 400 cas d’enfants sans état civil dans les seuls quartiers d’El Mina et Sebkha (des banlieues de Nouakchott). Ces enfants ont en commun l’absence d’une filiation les rattachant à un père connu. Cette opération sera généralisée dans les autres quartiers de Nouakchott et les autres villes de la Mauritanie. Notre objectif est d’établir une base de données fiable qui reflète fidèlement l’ampleur du phénomène et son impact » soutient Mint Muslim.
Les conséquences liées au refus ou à l’absence de paternité sont de plusieurs ordres. Les enfants victimes sont confrontés au problème de reconnaissance juridique. Ils naissent incognito et éprouvent toutes les difficultés à avoir des papiers d’état civil. Ils sont exposés à la délinquance, la toxicomanie, la prostitution, le grand banditisme et le crime organisé.
Selon M. Koita psychologue au CHE de Nouakchott, l’absence d’un père géniteur et protecteur a de lourdes conséquences psychiques.
« Certaines études ont confirmé des troubles sur le plan social, sexuel, moral et cognitif, liées à l’absence du père. D’ailleurs de nombreux enfants en conflit avec la loi en Mauritanie proviennent de cette catégorie » indique- t-il.
En effet, de nombreux délinquants qui écument les rues des grandes villes du pays sont issus de cette catégorie sociale sans repère. A Nouakchott et à Nouadhibou, il ne se passe pas un jour sans que des paisibles citoyens ne soient agressés. De sources proches du ministère mauritanien de la justice, actuellement plus de 80 enfants sont en situation de détention préventive ou incarcérés dans la prison des mineurs. Plus de 90% de ces enfants sont victimes de l’absence d’un père qui devait assurer leur protection et leur éducation.