Ce sont des femmes veuves ou divorcées ayant en charge de nombreux enfants, des femmes victimes de polygamie ou bien celles libérées du joug de l’esclavage mais ne bénéficiant d’aucune prise en charge de la part des pouvoirs publics.
Ces braves Ndiayatt se livrent quotidiennement au commerce des fruits et légumes, du poisson, de la viande, des pâtes alimentaires, du couscous, des bouillons, des céréales ainsi que le commerce des produits artisanaux.
« J’ai commencé cette activité depuis bientôt vingt ans. Elle me permet de gagner, honnêtement, ma vie et de régler, tant bien que mal, certaines charges liées à l’éducation de mes enfants et au payement de mes factures en eau et en électricité. Nous déplorons, toutefois, les nombreuses tracasseries dont mes consœurs et moi sommes confrontées : payement de nombreuses et exorbitantes taxes à la commune, inexistence de places fixes pour les Ndiayatt, insécurité et manque d’hygiène dans les marchés» indique Bebihe Mint Matalah vendeuse au marché de Tidjikja.
Ce que dénonce dans un coup de gueule, Khady Mint Lahrach, présidente d’une coopérative maraichère à Tidjikja : « Nous faisons face à la concurrence déloyale des grands commerçants qui inondent les marchés de produits importés du Sénégal ou du Maroc. L’Etat doit intervenir pour corriger cette pratique afin d’encourager la production nationale. Nous nous plaignons également de manquer de place pour étaler nos marchandises. Le plus souvent nous les étalons sous des hangars de fortune ou en plein air. Nous sommes conscientes des mauvaises conséquences d’une telle pratique sur l’hygiène et la qualité des produits exposés à longueur de journée à la poussière et au soleil. Nous sommes des citoyennes mauritaniennes et nous devrons être traitées comme telles. Notre secteur a été longtemps maintenu dans l’informel, il est grand temps qu’il soit reconnu et apprécié à sa juste valeur » souligne-t-elle.
Elle indique, en outre, que les Ndiayatt n’excluent pas de cesser de payer les taxes communales si les mairies et à travers elles l’Etat mauritanien, n’accèdent pas à leurs doléances.
MBarka Mint Lehbouss vit la même situation. « Je me réveille chaque matin à l’aube. Faute de trouver un taxi ou une charrette pour me conduire au marché, la plupart du temps, je parcours à pieds plus de quatre kilomètres bravant le froid ou la chaleur, c’est selon la période. Ensuite pour m’approvisionner, je dois me soumettre aux caprices des grossistes qui nous livrent de la marchandise pas toujours de bonne qualité » s’exprime Mint Lehbouss vendeuse d’étale au marché de Sebkha, banlieue de Nouakchott.
Cette ville métropole composée de trois régions (provinces) et de neuf Moughataa (préfectures), compte plus de trois cents grands marchés et autant de points de ventes. C’est ici, qu’on trouve la plus forte concentration des Ndiayatt en Mauritanie, une source de la Confédération syndicale des travailleurs CGTM les estime à plus de deux cents cinquante mille.
Nouakchott est suivie de près par : Kiffa, Nouadhibou, Nema, Aioun, Rosso, Kaédi, Selibaby, Atar, Zouerate, Tidjikja, Boutilimit, Boghé, Aleg, Maghta Lahjar où les Ndiayatt se comptent, ici aussi, par dizaines ou centaines de milliers. Sans compter enfin les autres villes à effectifs Ndiayatt plus ou moins réduits : Maghama, Rkiz, Bababe,Mbagne, Chinguetti, Nbeika, Duweyrara, Kamour etc.
Selon le dernier recensement général des populations et de l’habitat (RGPH 2013), la population féminine mauritanienne représente 52 % de la population nationale et 20 % parmi elles travaillent dans l’informel. Ces braves femmes participent activement à la lutte contre la pauvreté à travers des petites activités commerciales à forte incidence positive pour les ménages.
Pourtant l’argent que ces braves femmes brassent au quotidien n’est soumis à aucun circuit financier connu et répertorié et leur dynamisme tout comme leur intégrité morale, n’ont jamais été mis à profit.
Ceci s’explique par le fait que l’activité commerciale exercée par les Ndiayatt en Mauritanie n’est soumise à aucune réglementation. Aucun cadre juridique et institutionnel n’est prévu pour codifier cette activité afin de lui permettre d’apporter une plus-value à l’économie nationale.
« Cette activité gagnerait à être réorganisée afin de créer les conditions d’un véritable développement économique en Mauritanie » indique Sidi Mohamed Ould Abdel Jelil coordinateur régional de la confédération syndicale CGTM au Tagant.
Ould Abdel Jelil ne cache pas son amertume face à ce qu’il qualifie de négligence des pouvoirs publics vis-à-vis de ce secteur qui n’a jamais bénéficié d’appui, fustigeant, par la même occasion, l’absence de toute implication de cette frange sociale dans les programmes nationaux de développement.
« Avec nos modestes moyens, nous essayons, tant soit peu, d’apporter un soutien à ces femmes. Nous venons de les organiser en coopératives et de mettre à leur disposition des sommes modestes pour appuyer leurs activités. A Tidjikja , par exemple, nous avons attribué 300 .000 UM et une machine à coudre à un groupe de femmes Ndiayatt et d’ici peu nous ciblerons un autre groupe pour lui faire bénéficier d’un appui similaire. Nous sommes conscients de la modestie de ces appuis et leur impact très limité. En réalité, c’est à l’Etat mauritanien de s’impliquer dans ce secteur pour le développer parce que lui seul en a les moyens » indique-t-il.
Enfin, la réglementation du commerce des Ndiayatt aurait également un impact positif sur la préservation de la santé publique. La traçabilité des produits proposés à la vente par ces Ndiayatt est vivement souhaitée par les consommateurs qui deviennent, de plus en plus, exigeants, suite aux nombreux scandales liés à la vente de la viande d’âne impropre à la consommation en Mauritanie et à la saisie régulière des produits périmés.