La journée du vendredi 20 novembre 2015 commence de façon ordinaire pour le jeune Cheick Coulibaly, gardien au Radisson Blu de Bamako. Comme chaque matin, il se prépare à se rendre à son travail.
«L’heure de ma prise de garde est fixée à 7 heures du matin. Ce jour là, je me souviens avoir fait un peu de retard. Je n’ai quitté mon domicile que vers 7h03 minutes. Bien évidemment, sur la route j’ai hâté le pas. Je ne voulais pas que l’on me fasse des remarques. Arrivé dans le quartier des ambassades, j’ai remarqué que la route menant à mon lieu de travail était bloquée. Malgré cela, je me suis tout de même débrouillé pour gagner l’entrée de l’établissement», raconte-t-il. En forçant son destin, Cheick Coulibaly ne savait pas qu’il allait se jeter dans la gueule du loup.
Arrivé à l’entrée de l’hôtel réservée au personnel, il sera accueilli par des coups de feu. Bien que surpris par les détonations, le gardien parviendra tout de même à entrer dans l’hôtel pour une porte de service que seuls les employés du Radisson connaissent. «Persuadé qu’on aurait besoin de moi, j’ai fait le tour pour rentrer par une petite porte située derrière le bâtiment. Elle n’est pas connue de tout le monde. La porte mène au sous-sol de l’hôtel. C’est là-bas que nous pointons. Quand j’y suis entré, j’ai encore entendu des coups de feu. Là, je me suis rendu compte que quelque chose de grave se passait. Je me suis donc précipité vers la sortie pour m’enfuir. Mais ça n’était plus possible. Ça tirait de partout. Les balles allaient dans tous les sens. Je me suis donc rendu à l’évidence que j’étais coincé là. Avec les personnes qui étaient sur place nous avons décidé de fermer vite la porte. Les terroristes ont bien tenté de nous déloger. Heureusement que la porte était blindée. Nous étions morts de peur», témoigne-t-il.
Paniqué, le jeune Coulibaly appelle son père pour lui dire que l’hôtel où il travaille est attaqué. «Ce coup de fil a plongé toute la famille dans l’angoisse», raconte Lassana Tchiémogo Coulibaly, le père du jeune homme. La famille Coulibaly habite à Kati, à 15 km de Bamako. «J’étais terriblement inquiet. Pour la première fois de ma vie, je me suis senti impuissant. Mon fils était en danger de mort et je ne pouvais rien faire pour lui, surtout que par la suite, je ne l’ai plus eu au téléphone. C’était intenable», se rappelle-t-il.
Cheick n’oubliera jamais cette journée sanglante. Le traumatisme, dit-il, restera gravé dans sa mémoire pour toujours surtout qu’il a perdu dans cette attaque trois de ses collègues de travail. «L’un de mes collègue a reçu une balle dans la jambe et un autre dans la fesse. D’autres ont été achevés de sang froid par les terroristes», décrit-il. «En voyant mes collègues atteins, j’ai fait ma prière et attendu que la mort vienne me prendre aussi. C’était la première fois que je voyais des scènes aussi intenables», déclare-t-il.
La longue attente et l’angoisse ont été indescriptibles. Les heures passées dans le sous-sol de l’hôtel Radisson ont semblé des semaines pour Cheick Coulibaly. «Ce n’est qu’aux environs de 13h que les policiers sont venus nous libérer. Nous avons été conduits au stade avec les autres otages. Nous étions sous le choc. Vers 16 h, l’armée nous a dit de rentrer chez nous. C’était enfin la délivrance. Nous pouvions rejoindre nos proches», affirme-t-il.
Le jeune homme est certes sorti indemne de l’attaque terroriste mais le traumatisme que lui a causé cette journée le hante encore. «Depuis ce jour, je n’ai plus l’esprit tranquille. Je pense tout le temps à mes collègues qui sont morts. La nuit souvent je me fais des cauchemars», confie-t-il. Pour tenter d’oublier, le jeune Coulibaly envisage même de changer de métier. C’est d’ailleurs le désir de beaucoup d’autres employés du Radisson Blu que tout le monde présentait comme l’hôtel le plus sécurisé de Bamako.