La région accueillait jusqu’à 40.000 visiteurs chaque année. Depuis 2010, la situation a malheureusement complètement changé. Devenu peu sûr, le pays ne reçoit plus personne. Conséquence de cette désertion des visiteurs étrangers : la fragile industrie touristique qui s’était construite au fil des ans s’est brutalement effondrée.
C’est bien simple, la province perd en moyenne six milliards de francs CFA par an. Une vraie catastrophe surtout lorsque l’on sait que ses habitants, majoritairement pauvres, vivent presque exclusivement des rentrées du tourisme. Le site dit de ''la Falaise de Bandiagara'' couvre une superficie de 4.000 km2 où sont implantés 289 villages. Il possède un patrimoine culturel et naturel riche et varié qui a valu son inscription en 1989 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que bien mixtes. Bref, cela vaut le détour. Mais difficile et surtout risqué de s’y rendre par ces temps d’insécurité dans le Sahel.
Chiffres d’affaires en chute libre (Inter)
Selon Denis Saye, un citoyen originaire de la province de Bandiagara et gérant du bar-restaurant baptisé le Arou, «la crise a affecté tout le monde et en particulier les acteurs du tourisme». «Avant la crise, presque tous les guides et leurs clients consommaient de la bière chez moi. Je vendais au moins 600 bouteilles par jour à raison de mille francs CFA la bière. J’arrivais à me faire jusqu’à six-cent mille Francs CFA par jour. Il faut dire que le coin était bien animé. Les gens aimait», dit-il.
Avec la crise, le restaurant a perdu énormément de clients. Il est affreusement vide ou presque à longueur de journée. « Il n’y a plus d'ambiance comme au paravent. Je fais moins de recettes et la vente de bière a beaucoup diminué. Je ne vends plus que 12 bouteilles de bières par jour», déplore-t-il. Face à cette situation, notre barman indique qu’il est difficile pour lui de payer tout son personnel. Beaucoup donc de ses employés été libérés. Comme le marché local du travail s’est rétréci comme une véritable peau de chagrin, ces derniers n’ont pas pu se replacer ailleurs. Le chômage a atteint des proportions telles dans la région que certains quittent leur maison pour aller chercher du travail dans d’autres provinces maliennes. Les chômeurs ayant choisi de rester attendent avec impatience le retour à la paix et la reprise de l’économie locale.
En attendant, le chômage a poussé les jeunes à prendre de mauvaises habitudes. Certains sombrent dans la délinquance ou sont même devenus des bandits de grands chemins. D’autres noient leurs chagrins dans l’alcool ou la drogue. Tout cela est motivé par l’attrait du gain facile ou le désespoir. «Les acteurs du tourisme sont affolés car la situation est intenable pour eux. Mais avec l’insécurité qu’il y a et la multiplication des attaques de terrorismes dans la région, nous avons perdu espoir quant à une amélioration rapide de la situation», explique Ampilem Djiguiba, gérant de l’hôtel bar-restaurant le KAMBARY, originaire de la province de Bandiagara. « Nous avons commencé à sentir la crise dès 2010. Après le rapt du 11 novembre à Hombori, notre hôtel qui habituellement regorgeait de touristes à chaque saison, s’est brusquement vidé», poursuit-il.
Compressions des personnels (Inter)
La province de Bandiagara a deux saisons : la demi-saison et la pleine saison. La demi-saison s'étend de juillet à septembre. La pleine saison va, quant à elle, du mois d’octobre au mois de février. L'hôtel que gérait Ampilem Djiguiba avait 25 employés, dont 20 étaient permanents. Son affaire arrivait à enregistrer une recette journalière qui tournait souvent autour d’un millions de francs CFA. Mais avec la crise, les recettes d’Ampilem Djiguiba ont fondu comme neige au soleil. Par conséquent, il a dû se séparer de la majorité de son personnel. Seuls deux employés ont été maintenus.
Mamadou Traore dit « Mane », guide touristique et antiquaire originaire de la province de Mopti, est dans le même cas qu’Amphilem Djiguiba. Il a tout perdu avec la crise. Mais contrairement à beaucoup de ses collègues guides, il en veut particulièrement au gouvernement malien qui les a délaissé « sous prétexte que les guides ne paient pas d'impôts et de taxes ». Pour lui, « le gouvernement est ingrat car il oublie que grâce aux guides, les touristes ont réalisé de nombreux projets d’utilité publique» comme le forage de puits, la construction, l’équipement d’écoles et le financement de certains petits métiers. Aujourd'hui, dit-il, «je remue ciel et terre pour avoir de quoi nourrir ma femme et mes enfants. Tous les objets d'arts que je vendais pour subvenir aux besoins familiaux sont entassés chez-moi. Nos responsables ne doivent pas nous laisser tomber. Dans tous les cas, je m'en remets à Dieu».
Banditisme, drogue et alcoolisme (Inter)
Originaire aussi de la province de Bandiagara, Baba Napo est le président de l’association des guides touristiques. Comme tout le monde, il a peur de l’avenir. «Aujourd'hui, la province de Bandiagara compte 33 guides agréés. En temps normal, nous travaillions cinq à six mois dans l'année. Chaque guide gagnait au moins 20.000 francs par jour. Maintenant nous sommes dans la misère. Nous pouvons faire un mois sans gagner 30.000 francs», raconte-t-il.
Que fait le gouvernement pour leur éviter de basculer dans la misère ? Baba Napo révèle qu’en 2013, le gouvernement leur a promis de financer des petits projets pour créer de l’emploi. Bamako s’est dit disposé à promouvoir entre autres le petit commerce, le jardinage et la transformation des produits locaux. Pour cela une délégation spéciale est même venue de Bamako pour former les guides en gestion d'Entreprise. «Apres la formation, le gouvernement nous a promis de financier les participants à la formation. A ce jour, nous n’avons rien vu venir», déplore-t-il.
En décembre 2014, l’association locale des guides touristiques a monté un petit projet pour relancer le tourisme local mais l’initiative à tourné court. «Le peu d’économie dont nous disposions a été utilisée pour monter le projet en question mais cela n’a pas marché. Nous traversons une période pénible. Des familles entières s’effondrent à cause de la crise et les enfants ne partent plus école», déplore-t-il. La crise n’a épargnée personne, y compris les petits vendeurs ambulants.
Mortalité en hausse et déscolarisation (Inter)
Hamidou Ombotimbe, habitant du village de Mory, dans la comme rurale de «Muetoumou» (province Bandiagara), relate l’impact sur la vie de tous les jours du départ des touristes de sa région. «Mon village est jumelé depuis 1984 avec Voujeaucourt, une ville française. Voujeaucourt a beaucoup soutenu notre village. Il a doté notre centre de santé communautaire (CEScom) en équipements et en médicaments. Les soins et les médicaments étaient subventionnés par nos partenaires étrangers. Le CEScom était fréquenté par beaucoup. Grace à ce soutien, le taux de mortalité a même baissé dans la région. Maintenant tout cela a volé en éclats», enrage-t-il. «Aujourd’hui, le CEScom est déserté. Les patients ont cessé de s'y rendre car ils n’y trouvent plus rien. L'aide qui provenait de la France est suspendu à cause de la crise et de l’insécurité. Une vraie catastrophe. Faute de médecins, les gens reviennent à la médecine traditionnelle. Le taux de mortalité remonte en flèche», ajoute-il.
Antoine Togo, originaire du village de Begnemato, dans la commune rurale de Dourou (province de Mopti), est un ancien élève à l’école préscolaire de Begnemato. L’école dans laquelle il a fait ses études a été construite et équipée aussi par des partenaires étrangers en 2000 et assure des enseignements pour des élèves du 1er et du second cycle. Les partenaires étrangers prenaient même en charge le salaire de certains enseignants et les fournitures des élèves les plus pauvres. Malheureusement avec la crise, l’école a fermé ses portes. De son coté, la commune n’a pas les moyens de payer les enseignants. Le sort des élèves inquiète Antoine Togo surtout qu’il n’y a pas d’école publique dans la région. Une génération entière d’élèves est menacée de déscolarisation.
Madougnamo Telly, est un artisan dans la province de Bandiagara. Les temps sont très durs pour lui aussi. «J’exerce ce métier depuis 1986. Je gagnais bien ma vie. La falaise de Bandiagara était visitée par de très nombreux touristes. Ils accordent beaucoup d’importance aux objets que je confectionnais. Je les vendais facilement. Maintenant, les choses ont changé. Il n’y a plus de touristes. Je ne vends donc plus rien. C’est la raison pour laquelle je suis devenu cultivateur. Chez nous ici les gens n’accordent moins d’importance à ses objets », soupire-t-il en jetant un regard nostalgique et emprunt d’inquiétudes vers la légendaire falaise du Bandiagara.