Au village de Zouiret qui s’enfonce dans les entrailles du désert aride au nord-ouest de Tombouctou, les habitants ne cachent pas leurs craintes… Une terreur qui ne cesse de monter, notamment depuis la multiplication des menaces et des meurtres dont nombre d’entre eux ont été victimes. Mohamed Ali Ag Alhamdou, un habitant du village, affirme à ce sujet : « Zouiret est un village quasi assiégé dont certaines sorties sont extrêmement dangereuses et donc pratiquement interdites… ».
Expliquant l’état d’isolement dans lequel se trouve le village, Mohamed ajoute : « Il n’existe au village aucune force militaire, de même qu’il n’est traversé par aucune patrouille régulière et on ne comprend pas pourquoi ! Les jihadistes extrémistes, sont arrivés aux banlieues du village et, parlant aux habitants, ils leur ont ordonné, sous peine d’être tués, de ne pas traiter avec ceux qu’ils appellent "les hérétiques" ».
Notre interlocuteur termine en nous faisant part d’un récit qui révèle tout le traumatisme psychologique que laisse le terrorisme chez les habitants : « Nous ne pouvons plus endurer tout ce qui se passe autour de nous : ce silence funèbre, cette angoisse profondément enfouie et ces souvenirs qui refusent de partir… Cela s’est passé un matin pendant que je me rendais au marché du village : j’ai été surpris de voir une tête humaine suspendue à un arbre, au milieu du souk. En regardant cette tête, j’ai reconnu le médecin du village qui avait auparavant reçu des lettres de menaces, sous prétexte qu’il travaillait pour le compte des autorités gouvernementales. Avec cette tête suspendue, il y avait un papier sur lequel ils avaient écrit : "Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux : "Ainsi finiront les coupables et tous ceux qui traitent avec les mécréants"" ».
Néanmoins, tous les villageois ne se font pas une image aussi sombre de la situation. Certains trouvent même la vie très normale et pensent que les médias, ainsi que certaines parties, cherchent à amplifier les faits. Tel est, par exemple, le point de vue de Mustapha Mohamed, chauffeur de voiture de louage : « Nous vivons en sécurité et personne n’agresse personne. Les gens ici sont bons et ne pourraient en aucun cas devenir meurtriers. Et puis, d’une façon générale, le Musulman n’aime pas la violence et n’y adhère pas ».
L’opinion de Mustapha n’est pas bien différente de celle de Salek Ouelt Hadamine Badaoui, un berger sexagénaire qui vit au désert, loin du vacarme des villes et de la politique. Il affirme : « Ici, dans nos campagnes, nous n’avons rien à perdre, même au cas où les mouvements islamistes reviendraient tels qu’ils étaient en 2012. Ils sont musulmans et nous le sommes aussi ; la seule différence entre nous c’est qu’ils sont armés et que nous ne le sommes pas… Que nous ont donné les gouvernements qui se sont succédé durant cinquante ans ? Rien ! Ici dans notre désert, nous n’avons ni puits, ni dispensaires, ni infrastructure… Quelle différence donc entre eux et le gouvernement qui n’a rien apporté à notre réalité ? Aucune !».
Cependant, les faits qui se sont déroulés, il y a quelques jours, dans la ville de Bir située à 60 km à l’est de Tombouctou montrent bien que le danger terroriste est toujours d’actualité, notamment après l’assassinat du chef de la brigade antiterroriste au sein du Mouvement National de Libération de l’Azawad qui contrôle la ville.
Bakha Agh El Mahdi, un proche de la victime, évoque cet assassinat en disant : « Ils l’ont tué de sang froid chez lui au moment de la prière du Icha… Et cela bien que les Mouvements qui contrôlent la ville interdisent d’y entrer et d’en sortir la nuit !».
Poursuivant son récit, Bakha ajoute : « La vie à Bir paraît normale et calme mais ce que beaucoup ne savent pas c’est que les jihadistes contrôlent tous les mouvements à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville. Ils le font toutefois de façon très discrète et tout à fait indécelable par crainte d’être repérés et de faire l’objet d’éventuelles poursuites policières comme cela peut arriver dans cette zone nord de la ville où se confondent dans le sable les silhouettes des jihadistes et celles des habitants civils ».
Avec beaucoup de douleur, Bakha poursuit en disant d’une tristesse et d’une peur bien visibles : « Cela ne se limite pas au meurtre de ce dirigeant pourtant connu pour son habileté dans la lutte antiterroriste ; les menaces visent aussi les autres membres de son équipe ».
Dans le cadre de la lutte contre cet état de chaos, un responsable sécuritaire au sein du Mouvement National pour la Libération de l’Azawad, qui préfère garder l’anonymat, nous confie : « La région de Taoudenni connue pour ses productions de sel et située à près de 700 km au nord de Tombouctou est l’une des zones considérées comme un repaire imprenable des jihadistes. En effet, nous disposons d’informations selon lesquelles des entrainements ont lieu dans cette région dont les habitants coopèrent avec les takfiristes, ce qui aide ces derniers à se replier pendant les patrouilles militaires réalisées aussi bien par les officiers du Mouvement que par l’armée malienne ou encore par les forces françaises présentes sur place ».
Dans le même contexte, Bakri Traoré, responsable sécuritaire malien dans la région de Tombouctou, nous fait part de ses craintes de voir progresser la capacité de nuire de ces mouvements jihadistes qui deviennent de plus en plus forts grâce au soutien et aux faveurs qui leur sont accordés par la population de cette région. Cela est écrit dans nombre de rapports montrant que ces mouvements se positionnent actuellement dans les déserts et se fondent parmi les éleveurs de bétail, ce qui leur procure une couverture qui rend encore plus difficiles les opérations visant à les extirper.