«J’espère qu’Allah nous accordera sa grâce dans l’au-delà car nous souffrons énormément sur cette terre. Les gens pensent que nous ne sommes bons qu’à mendier. Rien n’est fait pour nous valoriser ou nous permettre d’être autonomes. Nous sommes abandonnés. Parfois, certains ne peuvent même pas acheter du savon tellement ils sont démunis. Et pourtant nous ne manquons pas de compétences», enrage Nana.
La Jeune femme est handicapée depuis sa naissance. Contrairement aux gens « normaux », Nana a dû se battre pour réussir ses études. Ses efforts ont porté leurs fruits puisqu’elle réussira à décrocher brillamment un diplôme.
Malgré ses compétences, Nana n’arrive pas à décrocher un emploi. Ses camarades de promotion, bien que moins bien notés qu’elles, se sont tous casés. Les raisons, bien entendu, elle les connait. Les institutions publiques comme les entreprises privées ne veulent pas avoir dans leurs rangs des handicapés. «Je suis au chômage alors que je suis diplômée d’une école de santé. Je sais pourquoi je chôme. C’est à cause de ma condition d’handicapée. Avec mes deux béquilles je ne trouve pas de travail permanent. On nous traite comme des pestiférés», se lamente-t-elle d’une voix amère.
Consciente que la situation ne changera pas tant que les handicapés maliens ne se seront pas organisés et mobilisés, Nana décide de s’engager dans une association de défense des droits des handicapés. Et c’est à la Fédération des personnes handicapées de la commune I du district de Bamako qu’elle commencera à militer. Là, elle découvre qu’elle n’est pas seule. Ils sont même très nombreux à souffrir comme elle.
C’est le cas d’une autre jeune femme, Aïda Cissé. Elle a vécu le même calvaire que Nana avant de décider de se prendre en charge. Mais elle a même dû aussi batailler pour s’en sortir. Handicapée motrice, la quarantaine, Aïda Cissé est aujourd’hui vendeuse de tissus. Assise dans son échoppe derrière des piles de tissus en bazin, elle déclare d’une voix dégoutée : «J’ai fait des études de secrétariat. Mon grand frère m’a aidé à avoir un emploi dans un bureau de transit. Mais j’ai vite abandonné. Ma mobilité était réduite et nos locaux se trouvaient au 2ème étage d’un immeuble. Je ne voulais pas être à la charge de quelqu’un ou être transportée comme un coli. Je trouvais cette situation humiliante devant mes collègues. Ça devenait pénible à la longue. Cela sans compter que les toilettes des bureaux n’étaient pas adaptées aux handicapés comme moi. J’ai donc abandonné mon poste. Je fais actuellement du commerce au grand marché ».
Comme les handicapés moteurs, les personnes de petites tailles rencontrent également des difficultés à s’intégrer dans le monde du travail. Rokia Diakité en est un exemple vivant. «J’ai été contrainte d’abandonner mes études au second cycle à cause des nombreuses discriminations que je subissais. Au primaire aussi ce n’était pas facile pour moi ! Ma sœur et moi nous nous battions sans cesse avec les gens qui se moquaient de ma petite taille. Dans la cour, des élèves venaient me voir par curiosité. J’étais un objet de moqueries et de curiosité. Je faisais même peur à certains. Et j’ai vite été découragée», raconte-t-elle la gorge nouée.
Rokia Diakité ajoute avec amertume : « ensuite, j’ai voulu apprendre la coiffure. Ce qui n’a pas été possible. La raison ? Dans les salons d’apprentissage, le matériel ne m’était pas accessible. Trop grand». Aujourd’hui, Rokia s’est reconvertie dans le commerce. Elle est propriétaire d’une boutique de cosmétiques.
Assise sur un haut tabouret devant sa boutique, située dans le quartier ACI 2000 à Bamako, elle pose de faux cils et ongles à ses clientes.
Mme Théra Oumou Traoré est mère d’un enfant atteint d’une déficience mentale. Selon elle, cela ne devrait pas en soi empêcher une personne d’exercer une profession. « Chaque personne doit pouvoir travailler. L’Etat doit prendre exemple des pays développés pour trouver des métiers adaptés aux personnes déficientes», soutient-elle avec force.
Que pensent les autorités maliennes des critiques qui lui sont faites ? Pour le moment, elles tentent de corriger le tir et de rendre justice à cette catégorie vulnérable de la société. Conformément aux conventions internationales ratifiées par le Mali pour lutter contre les discriminations et l’article 18 du droit des travailleurs, l’Etat a commencé à s’intéresser à l’intégration des personnes handicapées. Et c’est ainsi d’ailleurs qu’une activiste en situation d’handicap a été nommée au ministère de la Solidarité pour apporter son expertise sur la question.
Selon Mme Djikiné Hatoumata Gakou, chargée des femmes handicapées au ministère de la solidarité, de l’action humanitaire et de la reconstruction du nord, les personnes handicapées occupent 15,5% de la population malienne. Sur ces 15%, 51% sont des femmes.
«Nous savons que les personnes handicapées souffrent. Toutefois, des progrès ont été constatés. Les gens ont désormais un regard plus tolérant sur les personnes handicapées. Au plan concret, l’Etat projette de construire des rampes d’accès et d’élargir des portes des locaux et des établissements publics. Il est question aussi d’aménager des pistes pour fauteuils roulant dans les cours des établissements qui sont sableuses. D’autres mesures destinées à faciliter la vie aux handicapés dans les écoles sont prévues », soutient-elle.
«Même si nous n’avons pas de chiffre, on peut dire qu’actuellement les femmes handicapées occupent des postes importants», explique encore Mme Djikiné Hatoumata Gakou.
D’après elle, « l’emploi est la seule alternative pour sauver la femme handicapée des abus et des vicissitudes de la vie ».
Entre les discours officiels sur les progrès constatés en matière d’accès et d’intégration des femmes et des hommes à mobilité réduite sur le marché du travail et la réalité, il y a cependant encore un grand fossé à combler. Et tant que tout le monde n’aura pas les mêmes chances, les handicapés ont promis de continuer à militer jusqu’à ce que leurs droits soient reconnus et traduis dans la réalité.