Mais le plus paradoxal c’est que le fruit de leurs doigts de fées se vend à des prix modiques, étant donné qu’il n’existe pas de marchés proches pour écouler la marchandise dans cette zone géographiquement éloignée des centres-villes du Nord du Mali et de la province de l’Azawad. En effet, le village d’Abaten se situe à 175 km de l’est de Tombouktou et à 230 km de l’ouest de Gao, ce qui le rend en manque continu des nécessités les plus urgentes de la vie, et en particulier lorsque survient l’hiver impitoyable qui ajoute à la souffrance de tous les habitants.
Roukaya Touré est présidente de l’une des associations féministes du village. Elle nous confie : « On entend souvent mâchouiller des slogans pompeux et assourdissants qui promettent l’amélioration de la situation de la femme en général et celle des villageoises en particulier et qui assurent que le gouvernement conçoit des projets en leur faveur... etc. Mais la réalité est tout autre et n’a rien à voir avec les slogans. Le goût de cette réalité a l’amertume de la souffrance éternelle des femmes ici ».
Le premier épisode de la longue série de peines que subissent ces femmes est la quête des moyens de chauffage. En effet, les villageoises commencent leur journée en allant au milieu de nulle part, chercher dans des coins perdus du bois mort qu’elles utilisent pour bouillir l’eau, pour faire la cuisine ou pour chauffer le foyer. Car le froid dans ces contrées est non seulement insupportable mais encore il menace directement toute chance de survie.
En observant les habitations du village nous n’apercevons que des tentes primitives et des chaumières construites de terre. Eparses sur des buttes de sable ou au bord de la rivière Niger, elles sont alourdies de sacs en plastique et coiffées de larges lambeaux de cuirs pour dissuader le froid et les gouttes de pluies de s’engouffrer à l’intérieur de l’édifice précaire.
Safia Mohamed, veuve et mère de sept enfants vit dans l’une de ces chaumières. Nous faisant part de sa souffrance, elle dit : « Nous menons une vie difficile ici et nous n’en espérons pas de meilleure. Nos pères et grands pères ont vécu dans ces chaumières sans jamais pouvoir y changer quoi que ce soit à cause de l’indifférence des gouvernements envers nous. Nous nous sommes habitués à cela ».
D’ailleurs, parmi les scènes douloureuses qui se reproduisent souvent dans ce village, celles où l’on voit des enfants nus ou une femme enceinte transportée dans un cercueil pour accoucher ou se faire soigner dans une maternité qui se trouve éloignée de plusieurs kilomètres de son lieu d’habitation. Tout cela avec des chiffres qui indiquent une forte mortalité chez les femmes et les enfants par manque de soins, de suivis médicaux des grossesses et des accouchements, ainsi que par manque ou absence d’hôpitaux équipés.
Mehdi Tijani, responsable du dispensaire du village de « Zerhou » qui se trouve à dix kilomètres du village d’Abaten, nous dit à ce propos : « Faute d’équipements nécessaires, des dizaines de décès ont été enregistrés parmi les femmes enceintes et les enfants pendant les derniers mois seulement ». Tijani explique ces décès entre autres par le recours aux eaux insalubres qui causent de nombreuses maladies dont les plus répandues sont le choléra et les déshydratations dermiques.
Par ailleurs, les enfants dans ces contrées oubliée rencontrent de grandes difficultés pour étudier, dans la mesure où ils se trouvent obligés de parcourir tous les jours une distance de cinq kilomètres afin de se rendre à l’école primaire de « Takouft » dont les classes réunies comptent quarante élèves seulement venus du village d’Abaten. Les femmes, quant à elles, enregistrent dans tous les villages du Nord du Mali, et dans ce village particulièrement, des taux d’analphabétisme extrêmement élevés.
Roukaya Touré explique ce phénomène par plusieurs facteurs dont, principalement, les traditions sociales et cela malgré les efforts fournis pas certaines associations afin de sensibiliser les groupes sociaux à l’importance de l’enseignement des filles. Elle déplore également que les écoles prévues à l’enseignement étatique soient inexistantes et que l’on se contente de celles où l’on apprend le Coran, bien que peu nombreuses à leur tour.
Pour sa part, Mohamed Cissé, responsable à la Croix Rouge du Mali, explique encore que « la faible infrastructure et l’insuffisance des services éducatifs dans les villages, notamment le manque des établissements d’enseignement étatique, font que les parents interdisent à leurs filles de se rendre dans les villes pour poursuivre leurs études. Ils le font faute de moyens, certes, mais aussi de peur que leurs progénitures ne soient victimes d’harcèlement sexuel ou de viol ». A toutes ces raisons, Cissé ajoute, le peu d’estime que l’on fait généralement à la femme dans ces sociétés, ce qui fait que se propagent des fléaux tels que le mariage précoce où des mineures sont mariées, sans même que soit rédigé un contrat matrimonial qui atteste de leurs droits et de ceux de leurs futurs enfants. Très souvent d’ailleurs ce type de mariage est suivi de divorces et de déchirements familiaux.