Cette population démunie, qui a fait le choix de gagner sa vie honnêtement, est exposée à une kyrielle de maladies aussi dangereuses les unes que les autres. Beaucoup de ceux et celles qui ont fait le choix de se lancer dans ce travail risqué sont atteints de maladies dermatologiques et respiratoires. Il y a de quoi. Très souvent, ils manipulent des matières hautement cancérigènes et toxiques. Ces maladies proviennent du fait surtout que ces trieurs d’ordures ne sont pas dotés d’équipements de protection. Ils travaillent à mains nues et…sans masques. Mais c’est le prix qu’ils ont accepté de payer pour nourrir leurs familles. La majorité de ces pauvres gens n’est pas de Bamako. Ils viennent de l’intérieur du pays…chassés par la faim et la misère.
Soleil de plomb et ventre vide
Sur les immenses montagnes de déchets de Baco-Djicoroni et de Sabalibougou situées sur le territoire de la commune v, femmes et enfants s’emploient dès les premières lueurs de la journée et cela jusqu’à la nuit tombée, dans une atmosphère poussiéreuse et nauséabonde, à ramasser des bouteilles en plastiques, des boites de conserves, des composants d’ordinateurs ou tout simplement du fil de fer. Tout peut se recycler et donc tout peut rapporter un peu d’argent. Les journées sont longues et le travail pénible…harassant. C’est souvent sous un soleil de plomb et le ventre vide que ces armées de ramasseurs de déchets travaillent.
Mama Camara, veuve de 65 ans originaire de Côte d’Ivoire, un pays qu’elle a dû quitter après le décès de son mari, fait partie de cette cohorte de personnes qui se rend tous les matins dans les décharges de Baco-Djicoroni et de Sabalibougou. Plutôt que de s’adonner à la mendicité, elle a choisi de travailler malgré son âge avancé. Assise au milieu des débris qu’elle a récupérés, Mama Camara a une grosse plaie dans le plat du pied qu’elle traine depuis 6 mois. Sa plaie, dont la cicatrisation a été contrariée plusieurs fois, saigne par endroit. «Je n’ai personne qui me donne à manger. Que voulez-vous, je dois donc travailler. Je récupère des objets que je revends à Dabanani, au centre-ville afin de gagner ma vie. Je gagne en moyenne 1000 cfa * par jour. Mais entre manger ou me soigner, je dois choisir. Je n’ai pas les moyens de faire les deux», confie-t-elle sur une note découragement.
Le statut social de Mama Camara est doublement précaire. En plus d’être complètement démunie, elle n’est pas malienne. Mama Camara peut donc être expulsée du jour au lendemain. A n’importe quel moment. Elle vit dans une angoisse permanente. Elle confie d’ailleurs qu’elle craint tous les jours que dieu fait d’être expulsée par la mairie ce qui lui fera perdre à la fois son travail et son abri de fortune. Un abri fait de vieilles tôles et de morceaux de bois. Autant dire qu’elle dort presque à la belle étoile. C’est que Mama Camara vit au niveau même de la décharge ou elle travaille.
Affairée à trier une foultitude d’objets cabossés à côté d’un grand sac de jute rempli de sachets plastiques et de bidons de lait, Fatimata est elle aussi debout depuis l’aurore. Agée de 58 ans, le visage en sueur et visiblement épuisée, elle raconte : «Je ne sais pas combien de temps je pourrai encore exercer cette activité. Ma santé se dégrade de jour en jour. Je dors très mal la nuit. Tout mon corps me gratte et ma vue commence à baisser». Malheureusement, tous ceux et toutes celles qui ont échoué dans cet enfer ne sont pas connus pour avoir une grande longévité. Beaucoup partent …jeunes et dans l’anonymat.
Selon le docteur Cissé, dermatologue au centre médical de korofina, les femmes et les enfants qui travaillent dans les décharges de Bamako sont exposés à d’importants risques sanitaires. A cause des objets souillés, ils peuvent contracter, dit-il, le tétanos, le SIDA, des maladies parasitaires et microbiennes, de maladies liées à des troubles digestifs, des infections respiratoires et dermatologiques. «Les détritus sont souvent constitués de restes biomédicaux (seringues, gans) qui ne sont pas toujours accompagnés de traitement de désintoxication», prévient-il.
Au centre de santé du quartier Mali en commune v, une infirmière raconte que «ces femmes souffrent énormément de maladies qui leur grattent le corps». « Plusieurs cas ont été traités ici et pris en charge par le centre. D’autres, n’ayant pas eu cette chance, finissent par utiliser leurs maladies pour mendier», ajoute-t-elle.
La mairie de la commune V prête peu d’assistance dans l’absolu à ces femmes en situation de fragilité. Un conseiller de la mairie explique néanmoins que « la localité a établi un listing des femmes qui vivent des objets de récupération ». « Il nous permet de savoir à qui distribuer nos dons pendant le mois de la solidarité », dit-il.
Parallèlement aux aides de la mairie, plusieurs ONG ont apporté leur assistance aux démunies pendant la crise des régions nord en 2011. «Les malades ont été entièrement prises en charge par les ONG. Impuissant devant les faits, les municipalités n’ont d’autres choix que de tendre la main aux ONG et autres associations», avoue ce fonctionnaire.
Les associations féminines figurent parmi les organisations qui se mobilisent le plus en faveurs des vieilles femmes des décharges. Madame Traore Oumou Touré, présidente de la Coordination des associations et organisations féminines (CAFO) explique à ce propos que «la situation des femmes vivant autour des dépôts d’ordures est prise en compte par l’association, à travers différentes sous commissions ». Elle révèle cependant que son association n’a pas les moyens de les assister à tout moment. « L’Etat apporte peu d’assistance à ces familles qui n’ont d’autre choix que d’exercer cette activité », déplore-t-elle. Pour extirper ces femmes de cet « enfer », madame Traoré indique que son ONG «recense les femmes qui peuvent faire d’autres activité moins dangereuses telle que la lessive et les travaux ménagers ».
Doté de plus de moyens, l’ONG World Vision aide, quant à elle, toutes les personnes qui vivent des ramassages de déchets. « L’aide que nous apportons est destinée à tout le monde. Exceptionnellement, certaines d’entre elle nous apporte leur ordonnance médicale que nous payons», assure un agent de World Vision rencontré à Badalabougou en commune V. Mais notre interlocuteur soutient que pour venir en aide aux « travailleurs » des décharges, il faudrait bien plus d’ONG sur le terrain tant la souffrance et la misère sont très grandes.
Par ailleurs, le marché du ramassage des ordures dans la capitale malienne a été remporté par l’entreprise marocaine « Ozone ». Elle aura la lourde tâche de rendre Bamako sa propreté d’antan. Un agent chargé de la communication à l’entreprise à la mairie du district de Bamako indique que le Mali a conclu avec son entreprise un contrat de neuf milliards de FCFA pour assurer le nettoyage des rues de Bamako. Le contrat conclu porte sur la collecte des déchets ménagers et hospitaliers et à leur acheminent vers un dépôt final. Avec une population de deux millions d’habitants, Bamako est envahie par des montagnes de détritus. Selon la fondation française Veolia.ons, il y aurait 400.000 tonnes de déchets. Et le tout est à l’air libre.
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