La bourgade de Sangha, dans la province de Bandiagara, fait partie des localités durement touchées par la crise du nord malien. L'essentiel des activités des jeunes est liée au tourisme qui est à l'arrêt. Des guides professionnels aux petits guides subalternes, la misère et le désespoir gagnent leur cœur. Cette activité qui leur permettait naguère de satisfaire aux besoins des familles, ne rapporte plus. Certains de ces guides sont pourtant des soutiens de famille.
Tout le monde vivait de leur travail. Incapables désormais d’assumer leurs responsabilités sociétales, ils sont rejetés, dénigrés et traités de « bons à rien ». N’ayant plus rien à faire, ils sont devenus des toxicomanes et des alcooliques. Certains ont même versé dans le banditisme. D’autres guides qui refusent de sombrer dans la facilité, ont tenté leur chance dans le maraîchage et l'élevage de bétail. Ceux d’entre eux qui ont pu mettre un peu d’argent de coté, ont tout simplement choisi le chemin de l'exil. Ils sont partis en Europe. Leurs parents sont sans nouvelles d’eux depuis longtemps.
Dans cette province, beaucoup de jeunes ont auparavant abandonné l'école pour adopter le métier de guide touristique. Dans le coin, on y trouve aussi des diplômés sans emploi qui ont pris goût à cette profession jadis rentable. Tous souffrent aujourd’hui des mêmes conditions pénibles. Des conditions accentuées par le marasme économique que vit la région. Mopti est une zone touristique par excellence, très prisée par les Occidentaux. «Si rien n'est fait pour les guides, le tourisme risque de s'éteindre pour toujours. Nous vivons là notre pire crise», déclare le président des guides de Sangha.
Anoumolou Dolo, 25 ans, est un guide touristique. Vêtu d'un grand boubou traditionnel, le jeune a dû changer d’activité malgré lui. «La crise nous a ruiné tout simplement. Quant les touristes ont arrêté de venir, nos activités se sont figées avec. Alors, j'ai vendu tous mes objets de valeur pour nourrir ma famille pendant un temps. Ma femme a fini par me quitter, mes frères et sœurs ne veulent plus de moi. C'est pour cette raison que j’ai sombré dans la drogue » affirme Anoumolu. « A présent, je remercie le bon Dieu, parce que j'ai arrêté avec la drogue. Je consacre mon temps à mon champ d'oignons », se réjouit-il.
Pierre Guindo est directeur de la mission culturelle de Bandiagara. Selon lui, le contact avec les touristes a créé des liens très forts avec les guides. Certains se débrouillent avec les quelques sommes envoyées par leurs amis européens. « Il est vrai qu'aujourd'hui, le tourisme occidental est en berne mais la mission culturelle développe un tourisme local en partenariat avec les guides de la localité », affirme-t-il. «En plus, nous faisons appel à certains guides qui ont une maîtrise parfaite du terrain pour nos activités d'inventaires sur les sites touristiques. Ils n'ont pas de paies mensuelles mais bénéficient tout de même d’un per diem journalier consistant. De même, ils participent à la réalisation de films documentaires sur le pays Dogon, proposés par nos partenaires étrangers», soutient monsieur Guindo.
Ali Dolo est maire de Sangha. Il soutient que la mairie ne dispose d'aucune ressource pour venir en aide aux jeunes chômeurs. «Ici, la population vit essentiellement de la culture de l'oignon. Les récoltes sont malheureusement insuffisantes en raison du manque d'eau et de bonnes terres à cultiver. Cependant, nous n'avons jamais cessé de défendre la cause des jeunes face au manque d'emploi», déclare-t-il. L'élu regrette que les autorités de Bamako ignorent la souffrance des habitants de cette province et acheminent tous les projets d'aide au développement plus au Nord. Cette zone-carrefour reliant le nord et le sud, souffre du terrorisme comme Gao, Tombouctou et Kidal, rappelle-t-il.
Pour les autorités locales, la tache s'avère bien difficile d'autant plus qu'il est question du développement de toute la province. La « Venise malienne » est l'une des régions les plus défavorisées du Mali. Elle ne dispose pas de ressources. « Seul, le tourisme faisait vivre la population », affirme Aly Dolo. Par ailleurs, certains habitants perçoivent autrement les doléances des guides touristiques. «Les guides souffrent parce qu'ils sont habitués à l'argent facile des blancs. En plus, ce sont des paresseux qui ne veulent pas des métiers pénibles», pense une habitante de Sangha. « A cause d'eux, nous ne pouvons plus laisser nos animaux dehors, ce sont des voleurs », s'alarme la vieille femme.
Faudrait-il pour autant qualifier les guides de bons à rien ? « Ce nouveau comportement (vol, pillage, etc.), auquel recourent certains guides, pourrait bien être le résultat de la pauvreté et du besoin », pense un agent de police de Bandiagara. Bien évidemment, les guides refusent d’être traités de « voleurs » ou de bons à rien. Il n’empêche, de nombreuses interpellations ont eu lieu contre certains parmi eux, pour des cas de vol de bétail.
C’est connu, Sangha ne dispose pas de beaucoup de terres fertiles. Située sur un plateau rocheux, cette province survit grâce aux portions de terres aménagées pour la culture de l'oignon et du millet. Le moindre lopin de bonne terre est un trésor. Cependant la surface des terres cultivables ne cesse de se rétrécir. Les possibilités de créer une activité génératrice sont faibles. Au final, en dehors de la culture de l'oignon, les gens vivent de petits commerces comme la vente d'objets d'art et de tissus bogolan. Malheureusement, ce business est aussi lié au tourisme. Donc, il ne rapporte plus aussi.
Pour certains, les nouvelles autorités de Bamako n'ont rien fait pour ces jeunes qui sont dans le désespoir. Adama Telly est un guide de 35 ans. Il consacre désormais sa vie à l'élevage du bétail. «Je pense qu'il est temps que le gouvernement nous accorde le statut de victimes de la crise du nord. Nos activités étant directement liées au tourisme, nous avons été forcés d’arrêter à cause de la menace croissante du terrorisme». s'indigne-t-il. Jean Doumbo, un guide de 30 ans, est aujourd'hui professeur d'allemand dans un lycée privé à Bandiagara, situé à 45 km de Sangha. Il indique que « l’aide de l’Etat est plus qu’importante du fait que la première richesse de la province est le tourisme qui faisait nourrir beaucoup de familles ».
Nouhoum Dibo est gérant de restaurant à sangha. «L'arrêt des activités touristiques a eu de lourdes conséquences sur mon business. Les guides y séjournaient lors leur campagne touristique. Les touristes venaient en grand nombre, cela faisait le bonheur de tous les habitants qui y trouvaient leur compte grâce au commerce et aux différents services rendus ». Le restaurateur se dit en colère contre les autorités chargées de la culture et de l'industrie touristique. Il critique leur manque de volonté de créer des activités alternatives pour les guides.
Les autorités à Bamako misent pour leur part sur la sécurité, condition indispensable à l'épanouissement économique du pays. Elles sont cependant conscientes qu'à 700 km de la capitale, des habitants souffrent de l'arrêt des activités liées au tourisme. Les récentes attaques terroristes dans la province relance la question de la sécurité.
Une vaste opération de ratissage, conjointement menée par les FAMA et les forces spéciales burkinabés, est en cours. La capitale du Burkina ayant été la cible d'une attaque terroriste menée par Aqmi qui sévit dans le Sahel. « La sécurisation du Sahel permettra de relancer le tourisme », soutient un responsable burkinabé. En attendant que la sécurité soit restaurée, les guides touristiques continuent à souffrir de la misère. Ils espèrent que les touristes reviendront un jour pour leur donner le sourire.
Le pays dogon est inscrit depuis 1989 sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO sous le nom de ‘Falaise de Bandiagara’. Grâce à son potentiel culturel riche et varié (mission culturelle de Bandiagara), il fait partie des destinations touristiques les plus prisées du Mali. Avant la crise de l’Azawad, près de 40.000 touristes étrangers y venaient tous les ans. Le tourisme rapportait annuellement à la région près de six milliards de Fcfa (09 Millions d’Euros). «La survie de ce site dépend de la renaissance du tourisme et de la stabilité du métier de guide touristique », relève Pierre Guindo.