« Nous n’avons pas même appris à lire et à écrire convenablement dans notre langue mère », confie Sidou Dikou, un garçon de treize ans qui explique qu’il est incapable d’écrire son nom en entier et qu’il n’avait jamais eu l’occasion de se rendre à l’école, puisque son travail dans une minoterie privée lui prend tout son temps. Il assure également qu’en 2012, fuyant avec sa famille les tirs des mouvements armés dans la bourgade de Bir, il a dû y laisser aussi tout ce qu’il avait précédemment appris de ses enseignants.
Sidou n’a pas l’intention d’y retourner à l’école, du moins pas pour l’instant, dans la mesure où il se trouve dans l’obligation de subvenir aux besoins de sa famille composées de sept personnes qui, sans lui, mourront de faim. En effet, l’enfant a hérité de cette responsabilité qui n’a rien d’enviable depuis que son père avait succombé à un cancer.
Sidou Dikou, l’enfant orphelin, se tient près d’une poêle par laquelle passe le riz avant d’être moulu. Fixant des yeux la fumée montante, il ajoute : « J’étais en cinquième année primaire ; j’étudiais le jour et je partais le soir aider mon père dans un petit restaurant qui nous donnait à peine de quoi subsister. Mais il y a une année, notre situation s’est encore dégradée car à la mort de mon père je me suis trouvé obligé de quitter l’école et de sortir travailler dans une meunerie afin de faire vivre ma famille nombreuse ».
Âgé de quatorze ans, son camarade Hali Touré était avec lui dans la même classe. A son tour, il a abandonné les études pour travailler dans un atelier de mécanique au cœur du quartier Abraz pour un petit salaire qui ne dépasse pas les 12000 francs CFA, ce qui équivaut à peu-près à dix-huit euros, par mois. Cette modique somme lui permet d’augmenter un peu les revenus de sa famille, endurant pour cela de longues heures de labeur passées dans le remplacement d’une pièce de rechange par une autre. Hali Touré nous fait part de son expérience : « J’ai quitté l’école pour aider mes proches qui croulent sous le poids des difficultés de la vie, surtout après le déclenchement de la crise dans le pays et la vieillesse de mon père, désormais incapable de travailler ». Et, commentant sa petite paie, Touré ajoute : « Même si le salaire que me donne mon patron est très maigre, il m’aide malgré tout à combler quelques uns des besoins de ma famille, sans compter bien entendu les compétences que j’ai acquises dans la réparation des voitures et des motos, secteur qui attire beaucoup d’enfants ».
Pour sa part, le père de l’enfant s’est contenté de dire : « Oui, je sais qu’il travaille dans cet atelier… Mais, que voulez-vous… j’ai beaucoup vieilli et je ne peux plus trouver un travail qui convient à mon âge. La famille vit donc de ce que gagne cet enfant et son frère aîné ; nous n’avons pas d’autres choix ».
Abderrahmane Jalou, professeur de langue arabe à l’école libre de Sidi Yahya, pense que « la montée du phénomène de l’abandon scolaire et l’engouement des enfants pour le monde du travail dans ses divers secteurs pourraient engendrer différents problèmes dans la société malienne, dont certains se rapportent à l’avenir de ces petits. Nous risquons en effet de voir apparaître des générations entières incapables de jouer comme il se doit les rôles qui leur incombent envers leur pays et de voir une hausse continue du niveau d’analphabétisme et d’ignorance avec une croissance de criminalité, de violence et d’extrémisme au sein de la société ».
« L’école où je travaille a enregistré quatre-vingt cas d’abandon scolaire depuis le début de l’année 2014 et je suis sûr que beaucoup de ces enfants sont victimes de toutes sortes d’humiliations et de mortifications en étant régulièrement battus et violentés par leurs patrons et en étant sans cesse insultés et diminués… Tout cela est à ajouter aux mauvaises habitudes qu’ils peuvent prendre comme la cigarette, la délinquance, la drogue, le racket, le vol, le brigandage et toutes sortes d’illégalités », ajoute Jalou.
Sidi Cissé, cet enfant de douze ans, a choisi prendre la relève de son père en conduisant une carriole traînée par un âne et servant au transport des personnes et des marchandises à la fois. Il y travaille jusqu’à une heure tardive de la nuit, prenant ainsi de gros risques en déambulant entre les quartiers de la ville qui baigne dans l’insécurité. « Je ne suis jamais entré dans une salle de classe. Mon père non plus, d’ailleurs. Et tout ce que je sais faire c’est conduire cette voiture avec les ânes… comme mon père… », confie Siccé.
Le Professeur en sociologie, Ahmadou Yatara, explique la gravité de cette situation et le danger qu’elle représente aussi bien pour le présent que pour l’avenir de ces enfants en disant : « Le travail des enfants provoque la multiplication des cas d’abandons scolaires. Car l’enfant ne parvient pas à associer apprentissage et travail, ce qui le mène le plus souvent à quitter l’école et à affronter très tôt la dure réalité du monde professionnel. C’est ce qui les fait évoluer dans un environnement qui ne leur permet pas de cultiver leurs talents personnels et qui compromet sérieusement leur avenir et leur équilibre à la fois personnel et social ».