Le regard assombri et les yeux pleins de regret, Wayyo Touré se confie : « Je me suis faite avorter en décembre 2012. Je n’avais que 22 ans et le père de mon bébé a refusé d’assumer ses responsabilités face au futur bébé et à moi».
« J’étais encore étudiante et je résidais loin de me parents. Je me suis sentie seule et abandonnée lorsque j’ai découvert ma grossesse. J’ai donc directement pensé à l’avortement », raconte-t-elle.
Des cas similaires à celui de Wayyo Touré sont nombreux à Bamako, selon une source médicale. « Jeunes filles et femmes de toutes les catégories sociales et toutes les tranches d’âge viennent me voir pour interrompre leurs grossesses», affirme, un médecin généraliste qui a préféré garder l’anonymat.
Par ailleurs, les comportements sexuels des jeunes ont changé au Mali au cours de ces dix dernières années,. Selon les données de l’enquête sociale et de santé de 2010, environ 15 % des jeunes âgés de 15 à 19 ans et de 20 à 29 ans ont eu leur premier rapport sexuel avec pénétration avant l’âge de 15 ans.
« Les jeunes filles d’aujourd’hui se disent plus civilisées que les générations précédentes. Elles font tout comme bon leur semble. Elles s’adonnent à des pratiques qui n’honorent pas nos valeurs», regrette Djo Doucouré, une cinquantenaire, mère de famille. « 90% de la population malienne est musulmane. Or, l’IVG est rejetée par la religion et interdite par la loi », ajoute-t-elle pour justifier sa réprobation d’une telle évolution des pratiques sociales.
«En me référant à ma religion (Islam), et pour des convictions personnelles, je trouve que cette pratique est à bannir. Si tout le monde se fait avorter, personne ne viendrait pour reconstruire notre vie», s’indigne à son tour Fatim Touré. Et à Mme Doucouré de renchérir : « l’avortement est un gros péché devant Dieu ».
Les femmes enceintes hors mariage sont durement sanctionnées aussi bien socialement que moralement, et elles ont souvent honte de cette situation. Toutefois, la condamnation n’est pas générale au sein de la gente féminine. Certaines se déclarent tolérantes même si elles désapprouvent le phénomène. C’est le cas de l’étudiante Fatoumata Togola. « Je ne suis pas pour l’avortement. Mais, je pense que c’est la pression des parents et des petits amis, dans certains cas, qui pousse les filles à le faire », assure-t-elle.
L’article 170 du code pénal stipule que ‘’l’avortement volontaire tenté ou obtenu de quelque manière que ce soit, soit par la femme, soit même avec son consentement, par un tiers, sera puni de un à cinq ans d’emprisonnement et facultativement de 20.000 à 1.000.000 de francs d’amende et de un à dix ans d’interdiction de séjour.’’
Un tel arsenal juridique justifie l’absence de statistiques sûres et récentes sur ce phénomène, vu les conséquences pénales qu’il entraine.
Ainsi et par peur de laisser des traces de culpabilité, certains praticiens n’ont aucun système d’identification et de suivi de leurs patients. « Ça fait des années que je fais des avortements. Mais, je n’ai jamais écrit le nom d’une patiente. Je suis donc incapable de vous dire combien j’en ai fait. Et je suis quasiment sûr qu’aucun praticien ne te donnera des statistiques » se confie le seul médecin qui a accepté de parler.
Assis derrière son bureau dans une villa qui lui sert de clinique, sans aucune plaque d’identification. Cependant, notre interlocuteur précise qu’il n’a jamais interrompu une grossesse au-delà de deux mois.
Il est important de souligner qu’il n’y a pas que les filles ou les mères célibataires qui s’adonnent à cette pratique. Pour des raisons souvent économiques, des femmes mariées accompagnées de leurs époux sollicitent les services de ces docteurs qui exercent dans le noir.
Dans un document de recherche sur l’avortement à Bamako en 2009, réalisé par un étudiant en médecine, 52% des enquêtées ont eu recours à un avortement, au moins une fois. L’enquête a concerné des personnes âgées entre 15 à 24 ans.