Bien évidemment, cette situation met hors d’elles nos nombreuses ménagères qui redoutent d’être jetées à n’importe quel moment comme de vulgaires chiffons. Mais ce qui leur fait le plus peur, c’est qu’elles ne peuvent même pas défendre leurs intérêts dans un éventuel procès du moment qu’elles n’ont aucune preuve qui pourrait éventuellement justifier qu’elles ont été mariées à « X » ou à « Y ». Beaucoup ne disposent pas en effet d’un acte de mariage. De même, se pose la question de l’héritage en cas de décès du conjoint.
Le comble c’est qu’en plus du lourd fardeau de leur vie incertaine, elles sont victimes de moqueries en tout genre. Bien sûr, ces railleries insupportables viennent de femmes qui ne connaissent pas se problème c'est-à-dire de celles qui ont eu la chance de se marier à la mairie devant témoins et tout le tralala ou de jeunettes ayant des visées sur leurs maris. Ces femmes mariées sans l’être sont même traitées d’«esclaves sexuelles», ce qui est la pire des insultes. Résultats des courses : plusieurs d’entre elles ont étés chassée de la famille de leur mari après le décès de leur conjoint. Des drames de ce genre, il y en a à la pelle à Bandiagara.
Décidées à ne plus se laisser faire, les femmes mariées de façon traditionnelle réclament désormais leur «régularisation». Et cette régularisation passe nécessairement par un mariage civil. Elles disent même être décidées à arracher leur «droit à l’union civile». Pour elles, ce n’est que de cette manière qu’elles laveront l’affront qui leur a été fait et retrouveront honneur et respectabilité dans la société.
Il faut dire que la révolte de toutes ces femmes «dupées» s’est répandue comme une trainée de poudre dans la province.Partout dans les familles, au marché ou dans tout autre lieu, les femmes concernées par le problème montrent leur courroux et expriment leur détermination à changer les choses.
Aissata Guindo est maman depuis 4 mois. Elle est vendeuse de légumes au marché. Son enfant sur le dos malgré un soleil de plomb, la jeune femme n’est toutefois pas d’avis à trop presser les choses eu égard aux nombreuses difficultés auxquelles font faces les hommes. Des difficultés surtout matérielles. «Une cérémonie de mariage à la mairie ne s'improvise pas. Contrairement à ce que leurs femmes pensent, les hommes souhaitent aussi célébrer leur mariage à la mairie. Mais il faut des moyens. Tout ce qu'il faut, c'est juste de la patience », explique-t-elle comme dans une volonté de couper la poire en deux ou d’éviter le conflit frontal avec les hommes.
Est-ce un défi que les femmes veulent lancer à une société solidement soudée sur des traditions fort anciennes. Des traditions auxquelles les gens restent attachés bien que certaines d’entre-elles sont tombées en désuétude ? C’est ce que pense Yaiguéré Tembely, présidente d’une association féminine basée à Bandiagara (YaGTu). «Il est temps que les femmes prennent leurs responsabilités. Notre société est en profonde mutation sur tous les plans. Il est tout à fait avéré et normal que les femmes exigent leur droit à l’état civil dans leur foyer», déclare-t-elle.
En plus de son engagement pour leur autonomie financière, Mme Yaiguéré dispose d’un comité d’écoute qui aide les femmes à défendre leur droit dans leur foyer. «Il faudrait bien que les hommes soient aidés par leur femmes dans la préparation des cérémonies. Et pour cela, il faut que les femmes travaillent et se sentent considérées au sein de la famille», insiste-t-elle. La présidente, se dit prête à taper à toutes les portes pour leur obtenir gain de cause. Cependant, elle rappelle que cette lutte ne doit pas se limiter à la revendication passive. Pour Madame Yaiguéré, « il est important que le règlement du problème baigne dans un esprit d’entraide entre hommes et femmes ».
Interrogées sur la question, certaines femmes donnent l’impression d’avoir perdu tout espoir de pouvoir un jour donner une existence légale à leur mariage. D’autres pensent même qu’il est trop tard pour elle de se marier à la mairie. «Les vieilles n’ont pas leur place à la mairie mais devant la cuisine », déclare avec humour Samby Nantoumé, 35 ans et mère de 4 enfants. Malgré son humour naturel, Samby Nantoumé n’a cependant pas pu cacher l’étendue de sa blessure...de sa frustration.
Atou Sidibé, 25 ans est mère de 2 enfants, allaitant son nouveau né de 3 mois. La jeune maman triste raconte que son mari mécanicien avec lequel elle vit depuis 6 ans la frappe à chaque fois qu’elle lui parle de mariage. « Il me bat et n’accorde aucune importance à mes plaintes», avoue-t-elle. Bien décidée tout de même à se marier à la mairie, la jeune femme promet de travailler dur s'il le faut pour aider son mari à prendre en charge les frais de la cérémonie. Avec une telle proposition, dit-elle, il est peu probable que sa moitié refuse d’enfiler un costume et de se rendre à la mairie.
Ces violences conjugales ont provoqué le courroux de beaucoup de monde. Bintou Tessougue, responsable d’une association féminine, explique justement l’agressivité de certains maris par la cherté de la vie. C’est la question d’argent qui, suggère-t-elle, bloque tout le monde. Il est vrai que dans cette province, le quotidien des familles est rendu impossible par la misère. Les emplois sont rares et les revenus extrêmement maigres.
Pis encore, Yaiguéré Tembély explique que statistiquement la plupart des femmes violentées sont celles dont le mariage n’a pas été enregistré à la mairie. Il aurait donc un rapport de causes à effets entre cette violence et le statut de la femme. «Les femmes sans un statut légal dans le foyer sont très vulnérables », affirme Tembely. « Bien que le mariage traditionnel soit un signe de respect envers les anciens, il ne protège toutefois pas les femmes des violences et des séparations », ajoute-t-elle.
Yendi karembé est mère de 3 enfants. A 30 ans, elle fait du petit commerce pour satisfaire certains de ses besoins. La jeune femme, vient de Sibi-sibi, localité située à 15 km de la province de Bandiagara. Elle est mariée à un infirmier. Après 10 ans d’union, il n’y a toujours pas de mariage à la mairie comme le souhaite la jeune femme. A cause de cette situation, dit-elle, « j'ai de la peine à dormir. Mes camarades me traitent de femme sans importance ».
Le sujet du mariage civil est presque perçu comme un tabou par certains. Ils y voient des dépenses inutiles. Les jeunes en font rarement mention dans leurs débats. Ils sont plutôt préoccupés par le problème d'emploi. C'est le cas de Dramane Dolo, un chauffeur de 35 ans et père de 2 enfants. Selon lui, tout est liée à cette histoire d'argent. «Donc pas question pour les femmes d'en faire une obligation», a-t-il martelé. La province de Bandiagara connaît en effet une recrudescence du taux de chômage depuis le début de la crise de 2012. L'essentiel des activités reste lié au tourisme qui est à l'arrêt.
«Le mariage c’est d’abord la volonté de deux personnes de vivre ensemble », déclare avec philosophie Aly kodio, un jeune enseignant qui se demande d’ailleurs «pourquoi les femmes sont si pressées de célébrer l’union à la mairie, chose qui demande beaucoup de moyens». Malgré cela, les femmes ont un avis contraire. Elles pensent qu’«un mariage de ce genre ne survient qu’une fois dans la vie et qu’il convient par conséquent de le célébrer convenablement et dans le respect des lois. Il constitue après tout aussi une preuve d’amour ».
Dans la province de Bandiagara, le mariage civil s’accompagne d’une grande fête, d’un cortège de véhicules et d’invitations d’artistes. Il y a aussi et surtout un banquet…qui coute les yeux de la tête. C’est ce qui dissuade beaucoup à se jeter à l’eau. Un jeune commerçant marié en septembre confie que les dépenses de son mariage se sont élevées à 3.000.000 de fcfa. Il a dû donc contracter un prêt à la banque pour célébrer son mariage. Selon lui, « il faudrait alors plusieurs années d'économie pour rembourser son prêt».
La réticence des hommes face au mariage parait donc liée davantage au manque de moyen qu'au manque de volonté de concrétiser leur union conformément à la loi. Un conseiller à la mairie témoigne que « certains habitants viennent signer l'acte civil discrètement pour éviter les dépenses. Cela ne nous honore pas certes mais sauve cependant des foyers », assure-t-il. La mairie en tant que telle ne demande pas assez d'argent (10.000fcfa). « C'est plutôt la volonté des mariés de faire une cérémonie grandiose qui complique la situation », déplore-t-il.
«Les cérémonies de mariage sont devenues un fond de commerce. La famille de la femme réclame trop d’argent c’est pourquoi les maris hésitent à se prononcent rapidement sur les cérémonies civiles», déclare Antandou Tembely, un chef coutumier de 65 ans. «Pour que les jeunes puissent se marier il faut alléger les dépenses lors des cérémonies », ajoute-t-il. « Les anciens nous ont appris que l'union de deux personnes est fondée d’abord sur le respect réciproque et l'entente », rappelle le vieil homme. D’autre part, les chefs coutumiers ne voient pas dans les revendications des femmes une rupture avec la tradition. Ils tiennent juste à ce que les règles de bonne conduite au sein d’un couple soient conforment à la tradition.
Quoi qu’il en soit, les femmes de la province sont plus que jamais déterminées à réaliser leur mariage à la mairie. Cette situation qui a fini par susciter une certaine tension sociale à fini par faire réagir les autorités. Un conseiller de la mairie de Bandiagara fait savoir que « des dispositions sont en cours pour diminuer les dépenses lors des cérémonies ».
Pour leur part, les femmes paraissent conscientes des contraintes que suppose l'organisation d’une cérémonie de mariage à la mairie. Mais elles ne comptent pas reculer. Attention, ce que femme veut…Dieu veut !