La pénurie intervient surtout pendant la saison sèche c'est-à-dire à partir du mois de janvier. Situé au nord de la ville, Lafiabougou compte une population d’environ de mille habitants. Les logements sociaux dont il est question se trouvent, quant à eux, à l’Est de la ville. 500 familles y vivent. Le mois de janvier est donc synonyme pour les habitants de ces deux quartiers de calvaire. Quelle est la cause de cette pénurie ? Selon le service hydraulique de la ville de Bandiagara, «les nappes d’eau de la région enregistrent une baisse importante entre janvier et juillet, les pompes deviennent donc inefficaces ». D’où, explique-t-on, le manque ou l’absence d’eau dans les robinets.
Bandiagara est le chef lieu d’une province qui se trouve dans le centre du Mali. Dans cette ville vivent différentes ethnies : Dogon, Peulh, Bambara, Bobo et quelques mossis venus du Burkina Faso. La population actuelle de la ville est estimée à 25 000 habitants. La pénurie en eau potable que vit la localité cycliquement fait le bonheur de beaucoup de personnes qui s’improvisent «vendeurs d’eau». Comme on le voit, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Pour Moussa, vendeur d'eau dans le quartier Lafiabougou, c’est là une occasion d’arrondir les fins de mois difficiles. « Il n’y a aucun mal à cela. Je me réveil dès 5 heures du matin pour servir mes clients avec ma moto. J’arrive à livrer d’un coup trente bidons d'eau. Je ravitaille cinquante familles chaque jour. Le prix varie selon la distance entre le puits le domicile du client. Plus c’est loin, plus c’est cher», comment-il. «Aux familles qui se trouvent aux abords du puits, je cède le bidon d'eau s'élève à vingt cinq francs CFA. Ceux qui sont au delà de trois km et plus le prix varient entre cinquante et cent francs CFA par bidon. Mes temps de repos sont réduits maintenant. Je fais tout pour que mes clients soient approvisionnés», ajoute-il.
A quant la fin de la crise d'eau dans ces quartiers ?
Moussa explique également que l’approvisionnement dépend de la taille des familles. « Plus la famille est peuplée, plus la consommation d'eau est élevée. Dans les familles où il y a des centaines de personnes ; il m’arrive de leur livrer quotidiennement jusqu’à soixante bidons. Ce travail me permet de faire des économies. Celles-ci me permettent de parer aux imprévus durant le reste de l’année. Cet argent m’aide aussi à payer ma location, mes factures d’électricité et à couvrir certaines dépenses familiales», lance-t-il avec un large sourire.
Rencontrée avec son « pousse-pousse », Fatoumata Guindo est une écolière en classe de 6ème année à l'école fondamentale de Mamadou Tolo de Bandiagara. Elle aussi a été mise à contribution pour ramener de l’eau à la maison. «Mes parents n'ont pas les moyens d'acheter de l'eau chaque jour. C’est pour cela que chaque matin, je me rends à 4 km de notre domicile pour chercher de l’eau ma maman avant d'aller à l’école. C’est dur pour moi car cette corvée perturbe ma scolarité. J’arrive souvent en retard à l’école et je n’ai plus le temps de réviser mes leçons car je suis tout le temps épuisée », se lamente Fatoumata qui révèle qu’elle est d’ailleurs passé à coté de ses dernières évaluations à cause de cette pénurie d’eau. Fatoumata redoute par conséquent de se voir exclure à la fin de l’année.
AdamaTimbine, habitant de logements sociaux, conteste la version donnée par les autorités pour expliquer le manque d’eau dans la région. Pour lui, «le problème d'eau de lafiabougou et des logement sociaux est lié à la mauvaise gestion des adductions d’eau par la société malienne des gestion d’eau potable antenne de Bandiagara (SOMAGESP) et le manque de volonté des autorités locales de régler les problèmes des citoyens ». « Aucun dirigeant local ne veut s'engager à lutter contre ce fléau qui entrave vraiment le développement des quartiers. Maintenant personne ne veut résider dans les quartiers qui connaissent une crise d’eau. Je demande un investissement durable de la part du gouvernement malien et des solutions à notre calvaire», dit-il en colère. Selon Clair Yadommo, cette autre habitante du quartier des logements sociaux, « le manque d’eau est quotidien en saison sèche. Chaque année, nous attirons l’attention sur le problème mais personne n’écoute. Nous n’avons aucun retour d’écoute de la part des autorités et des élus ».
Les autorités et les élus absents (Inter)
La province Bandiagara a trois députés au niveau de parlement pour défendre la province. Mais malheureusement ils ne semblent pas se préoccuper de son sort. « Il leur arrive de rester un semestre sans rencontrer leur base. Ils ne se préoccupent pas en outre de savoir à quels types de problèmes elle est confrontée. Certains députés, une fois élus, déménagent avec leur famille à Bamako et oublient leur province alors que le rôle principal d’un députe est de service de caisse de résonnance à ses électeurs », dénonce Mme Yadomo.
Daouda Kane, chef du quartier de Lafiabougou, révèle qu’il a tenu plusieurs rencontres avec ses conseillés sur le problème d’eau dans le quartier. Mais il a voue qu’il ne voit pas de solutions. Personne ne les écoute. «Nous sommes au bout de nos efforts. Cela fait deux ans, la SOMASEP ainsi que les services de l’hydraulique ont promis d’appuyer le quartier en lui octroyant une pompe dotée d’une grande capacité, une pompe capable de fournir le quartier en eau potable 24/24 h. Mais hélas, la promesse n’a été tenue », dit-il déçu.
Housseini Sagara est aussi « conseillé » au quartier de Lafiabougou. Il est enseignant de profession. Comme tout le monde, il achète chaque matin l’équivalent de deux mille francs d’eau pour sa famille. Ce qui pèse énormément sur son budget. Les salaires des fonctionnaires maliens est maigre. « Quant je défalque soixante mille francs pour le prix d’eau il ne me reste plus grand chose. Avec le peu qui reste, je dois payer le loyer, l’électricité, la nourriture et tout le reste. Je vous assure que c’est très dur. Si au moins il y avait de l’eau dans le robinet ça aurait été moins pénible. Là, financièrement je suis dans le rouge », lâche-t-il sur un ton de désespoir.
La musique connue des autorités locales (Inter)
Très critiqué, le directeur du service hydraulique de Bandiagara, M. Maiga, jure qu’il a tout tenté pour atténuer le problème. «En ce qui concerne la gestion de l’adduction d’eau potable, il est clair qu’elle a posé de nombreux problèmes depuis des années. Les services de l’Etat sont parfaitement informés. Depuis ma prise de fonction, la nouvelle équipe a fait faire l’inventaire du patrimoine, exigé un bilan au comité et installé un comité provisoire. C’est la preuve qu’elle a pris très au sérieux ses responsabilités », martèle-t-il ajoutant qu’il y a des choses qui le dépassent. Et de s’interroger : « Je me pose donc, avec la population de Bandiagara, les questions suivantes : • En tant que directeur, mes paroles et mes écrits sont-ils pris au sérieux ? Suis-je pris au sérieux ? ». M. refuse qu’on lui fasse porter le chapeau car il affirme avoir fait ce qu’il avait à faire.
Housseini Saye, maire de la commune urbaine de Bandiagara, affirme de son coté que parmi les priorités de ses services, il y avait, à l’époque, l’eau. Une question « très cruciale ». Il indique que quand il est arrivé lui et son équipe au « pouvoir », la localité cela déjà 8 mois que la ville n’avait pas d’eau potable. Actuellement, il y a des quartiers où la SOMAGESP couvre le besoin à 100% en matière d’eau. Mais, dit-il, « le cas de Lafiabougou et des logements sociaux est spécifique ». Mais il a bon espoir de voir le problème se régler. «Mon équipe et moi sommes en négociation avec la direction nationale de hydraulique, c’est en bonne voie aussi », déclare ce maire. M. Ongoiba, chef de société malienne de gestion d’eau potable, souligne de son coté que «le problème n’est pas à notre niveau mais au niveau de la direction nationale de SOMAGESP». La municipalité a, dit-il, monté un dossier pour que l’affaire soit entendue au plus haut niveau. «Après avoir pris connaissance du dossier, l’antenne locale de la SOMAGESP a envoyé les dossiers au niveau national pour étude. Je pense que le directeur national est en entrain d’étudier le dossier silencieusement. D’ici le mois de juillet tout le problème sera résolu, tout est en bonne voie », rassure-t-il. Bref, tout le monde se rejette la balle et…à la responsabilité.
Les femmes payent l’addition (inter)
En attendant de voir le problème trouver une solution, «ce sont les femmes qui souffrent le plus de la pénurie. Elles se lèvent tôt et dorment tard tout cela pour aller chercher de l’eau», déclare Hawa Dolo, conseillère à Lafiabougou. Seulement Mme Lafiabougou se fait surtout du souci pour « les familles vulnérables qui ne peuvent pas acheter de l’eau potable ». « Celles-ci partent en chercher dans une marre dénommée «Bailalou». Or, l’eau de cette marre située à proximité du quartier de lafiabougou et où se désaltèrent les bêtes est impropre à la consommation et est source de maladie», dit-elle scandalisée. Ce qui énerve encore Michel guindo, habitant des logements sociaux, c’est que « non seulement le quartier souffre du manque d’eau mais quand ils en ont l’eau est de mauvaise qualité car les cuves et la tuyauterie étaient en fer». « L’eau contenait beaucoup de rouille » dénonce, Michel.
Bintou Dolo, conseillée et représentante de la jeunesse de Lafiabougou, indique que la population a organisés une marche en mars 2014 pour dénoncer la situation. Cette marche avait pour slogans en langue locale dogoso : «Di Woolo yo Guiri bolo Wolon, Di noodo wolo», ce qui signifie « Pas de développement sans eau et pas de vie sans eau ». La marche était partie du monument de Nangabanou tembly à la mairie de la commune urbaine de Bandiagara. Le maire a reçu les manifestants et leur a dit que « le problème d’eau fait partie des priorités de la commune ». Il a les par ailleurs rassuré. Les manifestants sont rentrés chez eux avec l’espoir de voir un jour la pénurie d’eau disparaitre. Mais cet espoir a fondu comme neige au soleil au fi des mois. Jusqu’à présent rien a été fait, assure Bintou. La scénario était malheureusement prévisible.