«Mon enfant a été enlevé au crépuscule par des inconnus. Ils étaient deux sur une moto. Quand ils ont pris mon enfant, ses camarades qui jouaient avec lui ont criés…mais, hélas, c’était déjà trop tard. Ses kidnappeurs étaient loin. A présent, je fonde mon espoir sur le bon Dieu», raconte-t-elle en sanglots.
Des Kadidia, il en existe des centaines au Mali. Inconsolables, elles pleurent en silence toutes les larmes de leur corps le vol de leurs enfants. Chaque cas de kidnapping a fait, bien évidemment, l'objet d'une plainte auprès de la police. Plusieurs manifestations sont aussi organisées régulièrement pour réclamer plus de sécurité pour leurs enfants et que les autorités remuent ciel et terre pour retrouver tous les « petits » kidnappés.
Le phénomène du vol d’enfants au Mali prend tous les jours des proportions inquiétantes et bouleverse la vie des familles. Un fait que confirme Moussa Diarra, commissaire de la police à Sévaré. «A l'approche des élections ou de certaines manifestions traditionnelles, plusieurs cas de disparitions d'enfants sont signalés», indique-t-il. Ces enlèvements visent souvent un type particulier d’enfants. Par exemple, les albinos sont particulièrement par les kidnappeurs. Le commissaire de Sévaré affirme que de nombreuses enquêtes sont ouvertes mais que les autorités sont pour le moment impuissantes face au phénomène. «Pour l'instant rien ne semble arrêter ces bandits de grands chemins», regrette-t-il.
Un cauchemar en plein jour (Inter)
Ce fléau qui touche la localité traumatise les femmes. Elles vivent avec la peur quasi quotidienne que leurs enfants peuvent être enlevés à tout moment. Cela bouleverse leur vie et freine constamment leur épanouissement économique. «Nos enfants ne sont plus en sécurité, ni à l'école, ni même à la maison», affirme Bintou Diarra, une enseignante de 30 ans. «Dans le cycle primaire, beaucoup d'élèves s'absentent à cause de ce phénomène. Les parents d'élèves ont peur de laisser leurs enfants venir à l'école», assure l'institutrice. Pour mettre fin au problème, Bintou Diarra propose que soient renforcées les mesures de sécurité autour des établissements.
En attendant que de telles mesures soient prisent, la méfiance et la crainte d'éventuelles séquestrations font faire à quelques mamans des décisions extrêmes. Certaines vont jusqu'à attacher leur enfant au dos pour se sentir en sécurité dans leur sommeil. Beaucoup de femmes appuient ce recours aux mesures extrêmes. Il y a de quoi…Dans le quartier populaire de Banguetaba, à une cinquantaine de mètre du camp de l'armée de terre, trois enfants ont été récemment enlevés pendant qu'ils dormaient avec leurs parents. Une source policière indique que les patrouilles se sont multipliées depuis dans le secteur. Cependant, pour les habitants, la sécurité reste l’apanage des seuls officiels et étrangers qui travaillent pour le compte des Nations-Unies à Sévaré. «Les patrouilles de police se limitent à faire le tour des grands axes et ne durent que quelques heures », témoigne un vendeur de café résidant dans le secteur.
C'est dans ce quartier très animé de Sévaré, rappelle-t-on, qu'un attentat terroriste avait fait plusieurs dizaines de victimes de plusieurs nationalités. L’endroit visé était l'hôtel Byblos, très fréquenté par les étrangers.
Maintenant, la peur règne tellement les portes des maisons se ferment dès le coucher du soleil. La psychose des actes terroriste a changé les habitudes de la population qui est pourtant connue pour être noctambule. Certains habitants regrettent d’ailleurs que leurs enfants ne puissent plus jouer dehors au clair de lune comme eux l’ont fait durant leur enfance. Dès qu'une une épaisse couche de brume recouvre la localité de 40.000 habitants, signe que l'Harmattan n’est pas loin, il n’y a plus personne dans les rues. Dans ce genre de cas, la crainte est encore plus grande chez les mamans car impossible de voir au-delà de deux mètres et le climat est propice aux kidnappings. Tout le monde s’attèle donc à faire rentrer très vite les enfants à la maison. «Vite à l'intérieur», lance une jeune femme à son fils qui joue à un jet de pierres de la maison. D'autres n'ont pas eu la chance de retrouver leurs enfants.
Atrocités et sorcelleries (Inter)
Maimouna Maiga est une commerçante de 26 ans. Elle est originaire de Gao, ville qu'elle a due quitter en 2012 sous la pression des groupes terroristes. Elle vit depuis avec son mari à Tiaboly, dans le secteur ouest de Sévaré. «Un jour, alors que j'étais parti comme d'habitude à Ouahigouya au Burkina et en l'absence de mon mari, ma fille de 4 ans a été enlevée. D'après les voisins, kady avait été aperçue pour la dernière fois avec une jeune femme. Je n’aurais jamais due laisser ma fille», raconte-t-elle en larme. Profondément attristée, la mère de Kady, déplore elle aussi l’insuffisance de l'appareil judiciaire dans la province de Mopti. Un appareil judiciaire qu'elle accuse d'être « corrompu ». Depuis la disparition de sa fille, Maimouna a arrêté de voyager. Elle veille désormais sur la sécurité de son garçon et de sa boutique, aménagée juste en face de sa maison. «Personne n'a le droit d'enlever mon enfant», soutient-elle.
Pour Fanta Cissé, 34 ans et mère de 2 enfants, « les autorités n'ont jamais prises au sérieux ce problème de vol d'enfants». Son enfant de 6 ans avait a été kidnappé alors qu'il revenait de l'école. L'établissement en question est situé à quelques dizaines de mètre du camp de l'armée de terre dans le secteur nord de Banguetaba. «Comment expliquez-vous que des enfants soient enlevés en plein jour?! C’est scandaleux», s'interroge la jeune femme désespérée. «Nous ne faisons plus confiance à ces hommes qui disent assurer notre sécurité. Les bandits sont protégés par les politiciens qui sont capables de tout pour accéder au pouvoir», martèle la jeune femme. Le fossé se creuse de plus en plus entre la société et l’Etat.
Selon plusieurs témoignages, des hommes politiques sont accusé par les habitants d’utiliser les enfants enlevés pour pratiquer la sorcellerie. « Certains croient aux pratiques mystiques pour se tailler une bonne réputation et gagner aux élections », déclare un enseignant. Selon les habitantes, « les gens sur lesquels se portent les plus forts soupçons n'ont jamais été inquiétés ou poursuivis par la justice ». « Certains dossiers d'enfants disparus s'égarent dans les tiroirs des bureaux de police moyennant des pots de vin », affirment les mêmes sources.
Argent, magie noire et pots de vin (Inter)
Haby Diall, habite au quartier sokoura de Sévaré. Ce secteur est craint par le reste de la population à Sévaré. Il a été rendu tristement célèbre par les disparitions d'enfants qui y ont eu lieu. Selon elle, « certains habitants pratiquent la sorcellerie pour gagner de l'argent». «Ils font des sacrifices d'enfants sur des fétiches», martèle la jeune femme. « Puisqu'ils ont beaucoup d'argent, ils parviennent toujours à corrompent les autorités », poursuit-elle. Plusieurs histoires de disparition d'enfants ont été entendues par la population dans ce secteur sans qu'aucune enquête n’ait été ouverte. Tous ces enlèvements ont lieu que le faubourg Est de Mopti abrite la deuxième plus grande base militaire du Mali. Les forces de l’ONU y sont également présentes.
Avec toutes ces forces en présence, pourquoi des enfants sont-ils enlevés sans laissés la moindre trace? Un grand paradoxe ! Certains habitants y voient un signe de « laxisme » des autorités qui ne prennent pas de décisions fermes à l'encontre des bandits. Ils pointent du doigt la défaillance de la sécurité dans cette zone-carrefour. Pour le commissaire Diarra, « la disparition rapide des enfants après leur enlèvement est liée au trafic routier. Les trafiquants restent cachés dans la nature. Ils empreintes ensuite, le transport en commun qui passent tard dans la nuit », ajoute-t-il.
Le chef de poste de Barbé, entrée sud de Sévaré sur la route de Bamako, affirme de son coté que « plusieurs personnes en majorité des femmes ont été arrêtés et placées en garde à vue pour les besoins d’enquêtes ». «Tous les prévenus étaient accompagnés d'innocents enfants séquestrés plus au sud, probablement à Bamako », soutient l'agent de la sécurité. Plusieurs grands axes routiers traversent Sévaré. La route de Gao relie le nord et le sud avec une escale à la gare de Sévaré. De même, la route dénommée « route du poisson » y commence et traverse la frontière entre le Mali et le Burkina vers l'est. Dans plusieurs cas, « les enfants enlevés sont victimes de mutilations et de pratiques liées à la sorcellerie. D'autres, sont réduit à l'esclavage domestique ou sont enrôlés de force dans des groupes terroristes», selon les témoignages d’habitantes.
Le maire de Mopti, Oumar Bathily, évoque « une situation inquiétante qui met à mal les dispositifs sécuritaires déjà fragilisés par les attaques terroristes dans la région ». Dans le centre du Mali, l'insécurité ne cesse de gagner du terrain, cette zone de transit entre les régions nord et le sud du pays est très poreuse. Le trafic transfrontalier, sous toutes ses formes, y est développé. Selon un agent de l'ONG internationale Save the Children basée à Sévaré, plusieurs plaintes sont enregistrées par rapport à des cas de disparition d'enfant. « Mais la situation est d'autant plus compliquée que dans certains cas, les enfants sont victimes de trafics transfrontaliers. Il y'a donc peu de chances de les retrouver», regrette l'agent. Notre interlocuteur signale tout de même qu’il existe un comité de suivi des dossiers d'enfant disparus qui travaille avec la police et les autorités judiciaires. A l'épineuse question des attentats terroristes s'ajoute maintenant ce phénomène de vol et de trafic d'enfants. Beaucoup pensent ce trafic profite aux groupes extrémistes. Pour un agent de la sécurité, «ces groupes, fortement affaiblis, recrutent des enfants soldats».
Désertion des autorités (Inter)
Les efforts du gouvernement pour enrayer ce phénomène de vols d’enfants s'avère insuffisants et les lois sur la protection de l'enfant peinent à être appliquées. Sous l'impulsion des ministères de la Promotion de la Femme, de l'Enfant et de la Famille, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle et, enfin, de la Justice, plusieurs instruments nationaux sont en préparation au Mali pour mieux contrer le trafic d'enfant. Il s'agit de la pénalisation du trafic des enfants, de l'adoption du code national du Bien- Être et de la protection de l'enfant.
Selon des sources juridiques, le projet de loi en gestation au Mali prévoit des sanctions sévères contre les auteurs et les complices de trafic d'enfants. Le législateur a prévu des peines criminelles allant de cinq à vingt ans de travaux forcés. Celles-ci pouvant être assorties d'une interdiction de séjour en territoire malien de cinq à 10 ans. En attendant que ces mesures soient promulguées, les mamans dont les enfants ont été kidnappés jurent de continuer à manifester et d’user de tous les moyens pour obtenir jusqu’à ce que les autorités assument leurs responsabilités envers la société. «Il faut que les autorités sachent que les enfants sont l'avenir de ce pays, donc leur protection doit être une priorité», scande Fanta Cisse.