Il y a peu, sa famille s’est opposée à son mariage avec son petit ami Ibrahim Tikambo, un Bozo. Cette décision a porté un coup fatal à l’immense espoir des deux jeunes tourtereaux et a brisé leur rêve de fonder un foyer et mener leur vie à leur convenance. Encore sous le choc, Hawa ajoute que, même sa mère a du mal à s’en remettre, car comme toutes les mères « elle sait combien il est devenu difficile de trouver un mari ».
L’étudiante en droit public à l’université des sciences politiques et juridiques trouve « minable » l’argumentaire de sa famille qui« puise sa force dans une légende aussi malheureuse que démodée ».
Dans la société malienne, les interdits de mariage entre certaines ethnies perdurent comme l’une des plus frappantes et pesantes manifestations du traditionalisme conservateur. Vouloir transgresser l’interdiction d’union entre les ethnies Bozo et Dogon, peul et forgeron ou bambara et griot … « peut engendrer une malédiction, ou des conséquences occultes », selon les gardiens de ces traditions.
Parlant de malédiction, Kadidia Guindo, une jeune étudiante Dogonne qui croit fermement à cette légende raconte que « deux partenaires Dogon-Bozo qui ont caché leurs identités, ont vu leur lit se briser la nuit de leur mariage et quand ils ont insisté, c’est la maison toute entière qui s’est effondrée sur eux », prétend-elle à qui veut bien la croire.
Ces interdictions sont pourtant présentes dans la société malienne. On raconte même comment cette interdiction de mariage entre Bozo et Dogon a pour origine une légende ancestrale datant de plusieurs millénaires.
La légende dit : « Deux frères vivaient de pêche au bord du fleuve. Mais, le poisson se faisait rare. Le frère aîné partait à la chasse dans des contrées lointaines. Néanmoins, il devait revenir bredouille après plusieurs jours. Rentrant au campement au bord du fleuve, il découvrait son petit frère à moitié mort de faim.
Après avoir mûrement réfléchi, le frère aîné s'éloignait un peu, découpait un morceau de sa propre cuisse qu'il grillait et donnait à manger à son cadet. Une fois le jeune frère rétabli, ils décidaient de traverser le fleuve pour s'établir dans une contrée plus favorable, plus giboyeuse et plus poissonneuse, pour fonder un nouveau campement et deux nouvelles familles.
Mais en traversant le fleuve, la plaie du frère aîné se rouvrait et se mettait à saigner abondamment. Le cadet lui demandait ce qui avait bien pu lui arriver et l’aîné lui avouait que c'était grâce à sa propre chair qu'il avait pu le sauver. Depuis, les deux frères se promettaient mutuellement d’interdire les mariages de leurs descendants. Leurs familles resteraient éternellement cousines, sans embrouille et sans discorde, perpétuant le souvenir du don de la vie et de l'amour entre les deux frères».
D’autres histoires disent que l’ethnie des Bozos est liée aux Dogons par la parenté à plaisanterie (appelée sinankunya au Mali). Dogons et Bozos se moquent les uns des autres, mais, parallèlement, se doivent mutuelle assistance.
Voilà pourquoi, traditionnellement, le mariage entre Bozos et Dogons est interdit.
Amadou Hampaté Bâ précise, qu’à l’origine, « les interdits de mariage n’ont en général rien à voir avec des notions de supériorité ou d’infériorité de caste ou de race. Il s’agit soit de respecter des alliances traditionnelles, comme c’est le cas entre peuls et forgerons, soit de ne pas mélanger des ‘’forces’’ »
Mais quelles que soient les origines de ces interdictions, il ne manque pas de gens qui les bravent.
Souley Diakité est Peul. Enseignant au secondaire, il est allé à l’encontre de la volonté de sa famille en épousant S. Ballo, une forgeronne. « Je l’ai fait pour marquer les esprits. Au début, ça n’a pas été facile de faire adhérer les parents. Même aujourd’hui, notre union est mal vue. Certains de mes parents ne m’ont toujours pas pardonné d’avoir violé un interdit en épousant une forgeronne. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune conséquence occulte. Nous avons eu des enfants, nous sommes heureux » confie-t-il, tout souriant.
Selon M. Diakité, il s’agit là d’une barrière ethnique qui n’a aucune raison d’être maintenue. Il est convaincu que les traditions ne doivent pas rester inchangées. «Il faut braver les interdits et mener le combat, l’étendre au niveau national et renforcer la sensibilisation, » ajoute-t-il.
Bien que ces interdits soient encore observés sans susciter de réel débat, il apparaît nécessaire de souligner qu’ils ne sont pas de mise dans l’islam qui est la religion de 90% de la population malienne.
Dans ce contexte, l’imam Sidi Diarra concède que « nulle part dans le Coran ou les hadith, il n’existe d’interdiction de mariage entre race, ethnie, caste…L’essentiel en islam est que vous soyez musulman, et après, vous pouvez vous marier. Pas question de peul, forgeron, bozo… »
Pour sa part, Paul Poudiougou, éditeur et représentant des éditions L’Harmattan au Mali, dogon et chrétien, explique que «Chez les chrétiens, il n’y a pas non plus de distinction. Pas d’Arabes, pas de Noirs, pas de Blancs… Les barrières raciales ont disparu. Je connais un couple Bozo-Dogon. Ils sont chrétiens.
Malgré les interdits de mariage qui existent entre eux, ils se sont mariés. Ils ont eu des difficultés surtout avec leurs parents. Or, dans leur famille respective, on disait que s’ils se mariaient, la foudre allait tomber, ou qu’il y aura un blocage sexuel. Or, rien ne leur est arrivé. Ils ont déjà eu un enfant et tout se passe bien pour eux ».
Il est à souligner que malgré l’ampleur de ce phénomène social et son impact sur le rapport entre les ethnies, aucun véritable débat n’a été lancé au niveau national sur cette question soulevant la polémique entre ceux qui y croient et ceux qui la qualifient de « rétrograde ». Mais, l’Intelligentsia malienne a déjà tourné la page, en attendant des actions de la société civile pour éclairer la population à propos de telles anciennes croyances.