« Ce sont des filles aux mœurs légères qui s’adonnent au sexe avant le mariage. Et par conséquent elles tombent enceintes sans souvent connaitre le père de leur enfant » affirme Nana Diarra, aide-ménagère.
Voilà comment l’on juge généralement les mères célibataires à Bamako. Dans la capitale malienne avoir un enfant sans être mariée est perçu comme une atteinte à l’honneur de la famille. Mais pas seulement.
« Quand je suis tombée enceinte je logeais chez une tante. Pour éviter que son entourage ne s’en rende compte elle m’a envoyée chez sa grande sœur, une autre tante. J’étais comme une malpropre » témoigne Maïmouna Kouyaté, au bord des larmes, entourée de ses cousines au parc national de Bamako où elles sont venues se distraire avec leurs enfants.
Pourtant Maïmouna n’était pas mineure et ne dépendait pas financièrement de sa tante. Elle avait 28 ans au moment des faits. Elle travaillait et gagnait bien sa vie.
Ce n’est pas une question d’autonomie ou d’âge, il s’agit de fierté, d’orgueil entaché, selon le sociologue Bréma Ely Dicko. « Quand une fille tombe enceinte alors qu’elle vit encore chez sa famille, l’entourage va d’abord accuser les parents de n’avoir pas pu bien éduquer leur fille» explique-t-il.
Pour le sociologue, derrière ce « déshonneur » se cache un désespoir pour les parents : « C’est comme si, en tombant enceinte, elle ruinait tous les espoirs que fondaient ses parents en elle de faire un bon mariage. Les parents croient, à tort souvent, que quand une fille a un enfant elle ne trouvera plus de mari. Certains n’hésitent même pas à mettre leur fille dehors, car elle ne leur apportera pas le gendre au portefeuille lourd comme ils le souhaitaient. »
Kadidia Tésougué, 20 ans, a fait les frais de cette mentalité. Assise dans une chambre qu’elle partage avec cinq autres mères célibataires, dont certaines sont encore enceintes, elle nous accueille avec un sourire forcé. Depuis son huitième mois de grossesse elle est hébergée par les sœurs des Béatitudes (une mission catholique). En effet, Kadidia a été chassée par son père quand il a appris qu’elle portait un enfant de son petit ami du quartier. Ne sachant pas où aller, elle a quitté leur village, Gana, à 12 kilomètres de Bamako, pour venir à la capitale. « C’est une dame, à côté de la gargote près de laquelle j’ai dormi trois nuits, qui m’a conduite ici. Mon père disait qu’à cause de moi il ne pouvait plus regarder le père de Soungalo (celui à qui elle était promise) dans les yeux après tout ce qu’il avait fait pour notre famille» marmonne-t-elle la tête baissée en frottant ses mains.
Avant de répondre aux questions -où est le père du bébé et va-t-elle s’en occuper- les cris du nourrisson d’à peine un mois attirent notre attention. Elle se lève, le pose délicatement sur ses jambes pour lui donner le sein avant de répondre. « Son père est resté à Gana. Je ne sais pas comment nous allons vivre si nous quittons cet endroit», dit-elle. Il ne lui reste que 15 jours avant de devoir vider les lieux.
Les sœurs des Béatitudes reçoivent les filles enceintes ou les mères en situation difficile pendant 40 jours après l’accouchement. « C’est une façon pour nous de les aider et surtout d’éviter qu’elles abandonnent leurs enfants à la naissance. Après les 40 jours, nous les raccompagnons, pour celles qui le souhaitent, dans leurs familles» explique l’une des sœurs.
Dans d’autres familles en revanche, c’est la tolérance qui prime. Moumini Coulibaly est chef de famille. Il ne comprend pas pourquoi certains parents chassent leurs filles parce qu’elles sont tombées enceintes. « Il faut réfléchir souvent avant d’agir. Est-ce que le fait de la chasser ça va résoudre le problème ? Non, au contraire. Ma fille a eu un enfant il y a deux mois, j’étais certes déçu, mais aujourd’hui je joue avec mon petit-fils. Et ma fille est retournée à l’école. Si je l’avais chassée elle n’aurait pas poursuivi ses études. »
Quelles que soient les conditions dans lesquelles ces jeunes femmes donnent naissance à leurs enfants, cela n’entrave en rien l’amour qu’elles leur portent. Instinct maternel oblige.
« Aïcha, fais attention à ne pas blesser Mafi, j’ai beaucoup souffert pour la mettre au monde hein. – Hum on dirait que tu es la seule à avoir un bébé. – Je ne suis pas la seule mais pour moi ma fille est ma raison de vivre, » se chamaillent Maïmouna Kouyaté et sa cousine Aïcha. Décidée à aller de l’avant avec son enfant, dans une société où être mère célibataire est encore souvent considéré comme un crime social, elle affirme ne rien regretter. Mafi signifie d’ailleurs « ma fierté ».
Aissata Ahamadou