Selon l’ONG Birdlife International, acteur majeur pour la protection des oiseaux « il ne resterait que 10 000 oiseaux de cette espèce dont 50% en Algérie »
Des braconniers, principalement des émirs du Golfe, sont la cause de la réduction drastique des effectifs de cet oiseau dans le sud algérien, malgré l’interdiction par la loi de la chasse de l’outarde (décret n°509/83 du 20 août 1983).
La loi punit sévèrement les braconniers. Les peines peuvent varier d’une année à trois années de prison ferme, et d’une amende allant de 200 000 à 500 000 dinars (entre 2 000 et 5 000 euros environ) avec confiscation de tous les produits de chasse, armes, munitions, véhicules et tout autre moyen ayant été utilisé pour la chasse ou la capture de ces animaux. En cas de récidive, la peine est portée au double.
Mais rien ne semble dissuader des chasseurs au-dessus de la loi.
Des habitants de la région, dont un collaborateur de presse, dénoncent le silence des autorités face à cette « extermination »
« Nous avons du mal à comprendre le silence des autorités algériennes qui persistent à fermer les yeux sur le massacre de cette espèce dans notre région. Une espèce menacée de disparaître à jamais» Et d’ajouter « comme tout le monde est censé le savoir, ces autorités ne délivrent des permis de chasse que dans le cas de recherches scientifiques, ou encore pour la reproduction, or curieusement, nous voyons aujourd’hui que ces mêmes autorités font escorter par la gendarmerie nationale ces braconniers à leur campement et pendant leur sale besogne. Autant dire que ces braconniers sont protégés au moment où ils massacrent nos précieux animaux».
Boualem T. chasseur septuagénaire, explique médusé : « Nous avons été interdits de chasser, alors que nous avons une fédération et des associations agréées qui respectent la loi et la période de chasse qui s’étend du 1er octobre au 1er janvier. Alors que les Qataris braconnent librement, nous, chasseurs algériens, risquons d’abord une poursuite judiciaire, puis de nous voir confisquer nos fusils de chasse si nous sommes interpellés.»
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, et comme pour répondre à la colère des citoyens, les autorités algériennes s’appuient sur le même décret pour délivrer des autorisations aux émirs.
En effet, l’article 5 spécifie que le ministre chargé de la nature peut exceptionnellement autoriser la chasse ou la capture des espèces figurant sur la liste dont l’outarde et la gazelle.
Des exceptions, étrangement, ne concernant que les émirs du Golfe jusqu’à présent.
Les émirs du Golfe s’installent sur des superficies atteignant 200 hectares. Un immense bivouac où l’on voit de loin des chalets, des véhicules tout terrain et des personnes qui circulent. L’accès y est interdit. D’ailleurs, on ne peut même pas s’y approcher tant les patrouilles de la gendarmerie nationale veillent au grain.
Pour calmer les esprits et acheter le silence des humbles autochtones, ces chasseurs privilégiés « embauchent des jeunes oisifs et financent même des petits projets comme la construction d’une école ou d’un stade de proximité » nous confie une source locale.
En novembre dernier, un lanceur d’alerte saoudien a jeté de l’huile sur le feu sur twitter en affirmant que « le gouvernement algérien donne à un prince (Mohammed Ibn Nayef) le droit d’anéantir la faune sauvage dans le désert pour ses massacres de l'outarde, de la gazelle et du mouflon». Il précise que ce prince se déplace trois à quatre fois par an vers l’Algérie et pendant son séjour, il est escorté dans ses déplacements dans le désert dans des véhicules 4X4 et habite dans des palais mobiles construits spécialement pour lui…
Un incident survenu en février 2015, témoigne aussi de l’extrême sensibilité autour de cette question du braconnage de l’outarde. Un militant de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), Tahar Larbi, figure du mouvement associatif dans la région, avait été menacé par le chef du groupement de la gendarmerie nationale d’El Bayadh. Ce dernier lui aurait tenu des propos menaçants et graves : « Je donnerai des ordres fermes à mes éléments sur l'usage de balles réelles contre celui qui oserait s'approcher des Khalidjites » (ressortissants du Golfe) ». Le président de la LADDH, Noureddine Benissad, avait alors lancé un appel pour alerter l'opinion publique nationale et internationale sur « la mise en application de telles menaces à l'encontre de notre membre et d'autres citoyens, qui ne font qu'exprimer leur inquiétude quant à la pratique de la chasse des espèces animales protégées par la loi algérienne, et cela, sans limite aucune et sous protection des services de sécurité »
L’outarde est non seulement protégée par la loi algérienne, mais aussi, par des conventions internationales. Elle est inscrite depuis 2004, sur la liste rouge des espèces en voie de disparition, par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui l’a classée « vulnérable »
Selon l’association ornithologique, Birdlife International, reconnue comme le leader mondial de la conservation des oiseaux, « il ne resterait que 10 000 oiseaux de cette espèce dont 50% en Algérie ».
Il existe peu d’indications sur la rapidité du déclin de l’avifaune (espèces d’oiseaux dont l’outarde) dans cette région. Mais les services de la wilaya de Naâma dont dépend El Bayadh, ont lancé la première phase d’une opération de lâcher d’un millier de jeunes outardes en milieu naturel, en novembre dernier « dans le but de conserver l’outarde et assurer son peuplement ».
Une opération, pilotée, selon la même source, par le fonds international pour la conservation de l’Outarde houbara (International Found For Houbara Conservation), avec le concours de la conservation des forêts et les autorités de la wilaya de Naâma. « Elle s’assigne comme objectifs la reproduction et la préservation de l’outarde sur la base d’expériences scientifiques en matière de protection de l’avifaune ».
Selon les mêmes services de la wilaya de Naâma « cette opération de lutte contre l’extinction de l’outarde est le fruit d’une coopération algéro-émiratie, et consistera en quatre phases de lâchers d’oiseaux et par l’observation de leurs mouvements pour atteindre les objectifs escomptés du programme ».
Par ces informations, la wilaya, un organisme d’Etat, reconnait « l’extinction de l’outarde » et révèle cette « coopération algéro-émiratie » Des Emiratis qui, parallèlement, contribuent pourtant avec d’autres braconniers de pays du Golfe, à la disparition de cet oiseau.
« On tue des outardes, ensuite on cherche à les conserver et les peupler, c’est quand même hallucinant ! s’insurge Hamza, chasseur de la région. « L’intention de ces braconniers est bien claire : reproduire cet oiseau pour mieux le tuer, et profiter de son grand foie et satisfaire leur instinct bestial» conclut-il, médusé.
Chahreddine Berriah