Ces charlatans ne cherchent même pas à se cacher. Ils travaillent en plein jour, au vu et au su de tout le monde, dans les zones les plus fréquentées de la capitale mauritanienne.
Alassane est l’un de ces vendeurs d’illusion. Il se présente comme étant un cheikh subsaharien venu aider les Mauritaniens et leur offrir le bonheur. Il affirme détenir des pouvoirs surnaturels lui permettant de guérir plusieurs maladies comme la stérilité et l’albinisme, de marier les vieilles filles, et d’aider ses clients à trouver de prestigieux postes de travail et à faire fortune. Il estime, par ailleurs, que l’exacerbation de l’envie et de la jalousie parmi les Mauritaniens a contribué à la prolifération de maladies qu’il peut soigner.
D’après sa longue expérience dans le domaine, Alassane note que la majorité de ses clients viennent pour régler des affaires privées, telles que le mariage ou la vengeance. Une autre catégorie de clients, des étudiants en majorité, cherchent à renforcer leur mémoire.
Osmane, pour sa part, ne cache pas sa fierté d’être un « hijab », surnom local donné aux charlatans. Il dit à Dunes Voices : « les Mauritaniens, notamment les gens célèbres et les personnes influentes tels que les hommes politiques et les femmes d’affaires, dépensent un argent fou chez les mages ». Mauritanien d’origine sénégalaise, Osmane assure que ses gri-gris ont ramené la chance à plusieurs politiciens et gens célèbres, qu’il ne veut pas nommer, notant que « les femmes sont les plus souples et certainement les plus généreuses et les plus fidèles ». Osmane affirme qu’il se déplace assez souvent chez les hauts responsables, ces derniers ne pouvant pas venir chez lui de peur d’être repérés. Ce sont leurs femmes qui organisent ces « consultations privées ».
La Roquia authentique contre la sorcellerie
Face à la prolifération de la sorcellerie au sein de la société mauritanienne, des « cabinets » de Roquia authentique ont fait surface. Les spécialistes de cette pratique ancestrale disent vouloir venir en aide à tous ceux qui souffrent de trouble psychique à cause de la magie noire, très répandue en Mauritanie.
Ahmed qui pratique la Roquia authentique à Nouakchott affirme pouvoir soigner, à l’aide du Coran, les victimes des actes de sorcellerie, tout en appelant les autorités mauritaniennes à lutter contre les charlatans qui sévissent en toute impunité. Ahmed ajoute qu’avec la multiplication du nombre des charlatans, venus en majorité des pays voisins, une autre pratique non moins bizarre est apparue. C’est ce qu’on appelle « Sir al harf » (le secret de la lettre). Ceux qui exercent cette pratique prétendent détenir des pouvoirs magiques leur permettant d’entrer en contact avec les djinns et de les exploiter. Ahmed note que la prolifération de ce phénomène l’a incité, lui et ses semblables à « ressusciter la Roquia authentique qui s’inspire de la chariâa », dans l’objectif de faire face aux mages et autres charlatans, de guérir leurs victimes, et de faire connaitre leur méfaits sur la société.
Ignorance et illettrisme
Aldo weld Ahmedneh, assistant social, estime pour sa part que le succès de la magie noire dans la société mauritanienne est du à l’ignorance et à l’illettrisme, notant que « la recrudescence des problèmes d’ordres social et économique a fourni aux charlatans un terrain favorable pour exploiter les gens et leur soustraire leur argent ».
Weld Ahmedneh ajoute que « la forte présence de la culture noire africaine, où la magie noire fait partie de la vie quotidienne, a contribué à répandre cette manière de penser notamment parmi les ethnies Wolof, Pulaar et Soninke, qui n’ont pas coupé complètement les ponts avec leurs racines africaines. Les autres ethnies ont également été influencées par cette culture, mais à un degré moindre ».
L’assistant social va encore plus loin en condamnant ceux qui pratiquent la Roquia authentique. « Ils prétendent posséder des pouvoirs surnaturels en mesure de guérir les maladies incurables, alors qu’il n’en est rien ». Il appelle, par la même occasion, les autorités mauritaniennes à prendre l’initiative de lutter contre ces escrocs avant qu’il ne soit trop tard.
Absence de législation adéquate
Dunes Voices a essayé de connaitre la position des autorités mauritaniennes sur le phénomène. Le ministère des Affaires sociales a refusé de commenter, estimant que l’affaire relève de la compétence de l’administration sécuritaire. Cette dernière a estimé pour sa part que le phénomène appartient au domaine du non-dit, puisque la magie noire et le charlatanisme ne font l’objet d’aucune législation, ce qui permet, volontairement ou involontairement, aux escrocs de continuer à travailler, sous la protection de la loi.