Officiellement, « 7.544 terroristes repentis ont déposé les armes depuis février 2006, début de la mise en oeuvre des décrets exécutifs de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale » selon le président de la commission d’assistance judiciaire pour l’application des dispositions de la Charte, l’avocat Merouane Azzi.
Parmi eux, Mehdi B. et Omar S. qui ont consenti à nous parler sous le sceau de l’anonymat et pas plus de 30 minutes. Ni entrer dans trop de détails sur leur vie privée.
Mehdi B. 59 ans est l’un des émirs de la phalange de la mort, le groupe armé le plus redouté de l’Ouest algérien. Un ancien terroriste qui écumait les maquis de Asfour et de Fillaoucène, sur la frontière avec le Maroc entre 1993 et 2000. Des monts surplombant les agglomérations de Sebra, Béni Boussaïd, Béni Snouss, Nedroma et Ghazaouet, dans l’extrême ouest algérien.
« Nous ne nous sommes pas rendus, c’est le Pouvoir qui a abdiqué » rectifie, d’emblée, Mehdi B. L’air arrogant, il réfute le vocable de « repenti » argumentant qu’il a été contraint de lutter contre le régime de l’époque qui lui avait volé sa victoire.
« Nous avons remporté les élections municipales de juin 1990 puis les législatives en décembre 1991 haut la main. Le Pouvoir, qui ne s’attendait guère à ce raz-de-marée populaire, a interrompu illégalement et par la force le processus électoral (11 janvier 1992). Notre honneur et notre dignité ont été bafoués. Qu’attendiez-vous qu’on fasse ? Qu’on applaudisse ? »
Loi sur la concorde civile dès 1999
Mehdi a bénéficié d’une amnistie à la faveur d’une loi sur la "concorde civile" adoptée par le parlement le 8 juillet 1999, amnistiant les terroristes quittant leur maquis volontairement.
Mais il semble toujours garder une haine qui ne dit pas son nom contre ce qu’il appelle les « généraux comploteurs, maitres du coup d’Etat qui ont empêché son parti de prendre les rênes du pays ».
Dès sa reddition, Mehdi a bénéficié d’une indemnité financière dont il refuse de révéler la somme et d’un local commercial à Maghnia. Un local qu’il mettra en location à une tierce personne et qui lui permet de vivre. Il n’en dira pas plus.
Pour mettre fin à la guerre civile qui a fait 300 000 morts, des milliers de blessés et de disparus, et pour crédibiliser son action, Bouteflika soumettra cette loi d’amnistie à référendum, laquelle sera approuvée à 97,36% des suffrages exprimés. Officiellement, un pardon unanime accordé par le peuple à ses tueurs. La loi garantira l’impunité de milliers de terroristes, mais aussi de forces de sécurité responsables d’abus dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
Du maquis à la vie civile
Omar S. 62 ans était enseignant et élu municipal du Front islamique du salut (FIS) en 1991 avant d’être emprisonné. « J’ai rejoint le maquis juste après ma libération du camp de concentration de Reggane (extrême sud algérien) à l’appel de nos chefs spirituels de l’époque (il omet de citer nommément ces chefs) C’était une question d’honneur. Il fallait combattre par les armes pour récupérer notre droit, puisque le pouvoir nous avait confisqué notre légitimité acquise par les urnes ».
L’amnistie a permis à Omar de bénéficier de salaires de façon rétroactive, facilitant sa réinsertion. « J’ai perçu tous mes salaires d’enseignant, depuis mon internement jusqu’à la promulgation de la loi sur la charte, ensuite, j’ai demandé une retraite anticipée qui me permet de vivre ». Il ne soufflera pas un mot sur son travail non-déclaré comme chauffeur de taxi dans la ville de Tlemcen.
Reggane où les camps du sud ont été ouverts sous le règne de Mohammed Boudiaf (chef de l’Etat de janvier à juin 1992) pour y interner les islamistes, juste après l’interruption du processus électoral, à partir de février 1992.
Des milliers de militants et de sympathisants du FIS ont été arrêtés à leur domicile, dans la rue et dans les mosquées pour être déportés dans des camps d’internement dans le grand sud.
Le président Boudiaf, qui sera assassiné le 12 juin 1992 à la maison de la culture d’Annaba (est algérien), en plein discours, défendait alors cette mesure « pour le bien du pays »
Ignorait-il que cet internement massif pousserait les islamistes à se radicaliser davantage et à préparer leur vengeance ?
L’Algérie a payé un lourd tribut pour la paix. Quinze ans après l’arrêt des hostilités entre les factions armées du FIS et l’armée algérienne, des relents d’animosité et de haine demeurent dans les témoignages de nos différents interlocuteurs, notamment chez les familles victimes de terrorisme. Même si au fond –nous l’avons perçu- chez ces dernières, elles ont baissé les bras, confiant leur amertume et leur tristesse à la justice divine.
Une réconciliation inachevée
Tante Halima, 73 ans, a perdu cinq membres de sa famille et son gendre est toujours porté disparu. « Je m’en souviens comme si cela datait d’hier. Dans ma bourgade, près de Relizane (environ 3 00 km d’Alger) Il était environ 22 h. Avant l’attaque, le groupe terroriste a coupé l’électricité, miné le seul accès menant au village, avant de commencer leur massacre de la population déshéritée. Dieu m’a sauvée cette nuit-là ». Elle commente, amère, l’amnistie accordée aux criminels : « on tente d’oublier, mais jamais pardonner, parce que le pardon ne se décrète pas avec des mots, c'est-à-dire une loi. Ce que j’assimile à un deuxième massacre, c’est cette loi justement qui absout les terroristes de leurs péchés et leur octroie des droits avantageux (des locaux de commerces, une mensualité…) alors pour nous faire taire, le gouvernement a accordé à beaucoup d’entre nous, une indemnité de misère. Des veuves et des enfants ayant perdu leurs parents dans cette tragédie ont été abandonnés à leur triste sort. Ce n’est pas juste. Mais, au-delà des hommes, il y a une justice divine. Moi, je ne pardonnerai jamais aux criminels de mes proches, même si on me donnera tout l’or du monde. Je ne me vengerai pas, c’est Dieu qui s’en chargera !» Tante Halima, pour ne pas tomber nez à nez avec les bourreaux d’hier, a carrément changé de wilaya au lendemain du référendum.
La présidente de l'Organisation nationale des victimes du terrorisme (ONVT), Fatima-Zohra Flici (épouse de l’écrivain Laadi Flici assassiné par les terroristes) souligne «l’absence totale du suivi psychologique des victimes du terrorisme » tout en rappelant que « les familles des victimes du devoir national méritent que leurs préoccupations soient prises en charge notamment dans les volets liés à la santé, au logement et à la pension… » Mme Flici appelle, enfin, à la « nécessité de déployer davantage d’efforts pour préserver la mémoire des martyrs du devoir national (…) Le prix qu’ont payé les martyrs du devoir national pour que l’Algérie demeure forte impose la préservation de leur mémoire… »
Le 9 juillet 2005, le directeur général de la sûreté nationale, Ali Tounsi, déclarait à Alger que « des terroristes qui étaient ensemble dans les maquis ont versé dans le crime organisé après avoir bénéficié de l’amnistie » S’il affirmait que le terrorisme était quasiment vaincu, le crime organisé constituait, selon lui, une menace persistante à cause notamment « de la conversion de nombreux repentis en bandits… » Ali Tounsi sera abattu le 25 février 2010, par le colonel Chouaib Oltache, dans son bureau du quartier-général de la police à Alger. Un assassinat sans lien apparent avec ses précédentes déclarations.
Tante Halima, Mme Flici, Omar S. Mehdi… respirent le même air dans une Algérie qui se fait violence pour se réconcilier avec sa mémoire et rester en conformité avec sa conscience. Un prix douloureux pour une nation qui ne veut plus revivre les années noires du terrorisme islamiste…
Chahreddine Berriah