Originaire de la province d’Asmara, le jeune homme est bloqué comme les 467 migrants arrêtés par les autorités libyennes à Gharyan, sans moyen de les rapatrier dans leurs pays d’origine : Le Ghana, Le Nigéria, La Gambie, et l’Erythrée.
François nous raconte le long et difficile périple qui l’a conduit, ainsi que d’autres migrants, à travers le sud et le nord du Soudan, puis à travers le Tchad, avant d’arriver en Libye. Les situations dangereuses ont ponctué leur parcours, en particulier lorsque leur fourgon est tombé en panne en plein cœur du Grand Sahara, près de la ville d’« Om Hager », à l’ouest du Tchad… Par chance il n’a pas été kidnappé, n’a pas été non plus victime des violences des contrebandiers et des bandits comme nombre de ses compagnons d’infortune. Il est parvenu sain et sauf à Marzak dans le sud de la Libye. Là aussi, il a échappé à l’arrestation, à cause de la saturation du centre de détention officiel. Après être passé entre les mailles du filet à de nombreuses reprises, la chance l’a quitté à Gharyan, à seulement 200 kilomètres de Zouara, sur la côte méditerranéenne, dernière étape avant la traversée pour rejoindre l’Italie. Il aura ainsi fait plus de 3000 kilomètres pour échouer à l’avant-dernière étape…
« La crise qui sévit dans mon pays m’a obligé à fuir à la recherche d’un avenir meilleur. Mais voici que ma vie s’est arrêtée dans cet endroit où j’ai à subir la pire situation qui soit », confie le jeune érythréen à Dunes Voices.
Les compagnons de voyage de François, Janis et Nahoumm, assurent être partis pour fuir l’enrôlement militaire forcé. « Nous avons été engagés comme soldats dans l’armée érythréenne pendant trois ans. Là-bas, en Erythrée, ils viennent juste vous emmener pour faire de vous un soldat et dès que vous êtes dedans vous y restez jusqu’à votre mort », dit Janis en racontant comment des enfants de douze ans seulement ont été enrôlés de force. Agé de 17 ans, Janis a donc pris la fuite, accompagné de Nahoum, 25 ans. Mais tous les deux ont découvert qu’ils n’ont fait qu’échanger un enfer contre un autre.
Dans les camps les conditions sont celles d’une vie de misère. Les rations de nourriture qu’on leur accorde ne les rassasient pas et les centres d’hébergement ne sont que des pièces surpeuplées où il n’y a pas d’assez d’espace pour se coucher. Une situation rendue encore plus insupportable, à cause des traitements dégradants que leur réservent les gardiens et le sentiment que leurs gouvernements, ainsi que les organisations internationales ont définitivement abandonnés.
Le centre de réfugiés de Bou Rchada à Gharyan est l’un des 20 principaux camps officiels réservés à l’accueil des clandestins en Libye. Son administration, qui nous a permis de rencontrer les détenus, assure que les moyens dont dispose le centre sont limités.
Hassan Tarhouni, gardien au centre de détention, raconte: « très souvent, nous devons tirer en l’air pour garder la situation sous contrôle ». Il explique que, tout au long de la journée, 29 gardiens doivent faire le guet à tour de rôle pour maintenir l’ordre dans un camp qui compte près de 500 migrants.
Aussi sont-ils obligés par moments de transférer des réfugiés vers d’autres centres d’hébergement, poursuit Tarhouni en ajoutant que la situation devient de plus en plus difficile pour tout le monde à cause du manque moyens et de la situation générale qui se dégrade en Libye.
Malgré la coordination entre les différents gouvernements, très peu d’immigrés clandestins sont rapatriés dans leurs pays d’origine. Le programme de rapatriement volontaire dirigé à partir de Tunis par la section de l'Organisation Internationale des Migrations (OIM) est compliqué et long à mettre en place. Ainsi, depuis juillet 2014, 400 personnes seulement ont été rapatriées.
Les migrants en détention, ainsi que les fonctionnaires du camp de Gharyan, affirment que les sommes perçues par les passeurs varient entre 400 et 1500 dollars. Les clandestins arrivés en Libye sont parfois employés comme ouvriers pour pouvoir payer la traversée jusqu’à l’Europe. D’autres restent en détention pendant des mois, voire des années, avant de pouvoir enfin traverser, si l’occasion se présente.
Très souvent aussi, les embarcations utilisées pour les traversées clandestines ne sont pas navigables ou dépassent de loin la capacité d’embarquement autorisée, raisons pour lesquelles elles chavirent ou coulent aussi souvent. C’est alors que les bateaux de sauvetage accourent du sud de l’Europe en réponse aux appels au secours, lancés parfois par les contrebandiers eux-mêmes.
François, le jeune érythréen, a du mal à ravaler ses larmes quand il raconte son arrestation et sa situation actuelle : « on a trouvé notre fourgon par hasard, à l’entrée de Gharyan et on nous a ramené dans cet endroit où nous n’avons pas même de place pour dormir. Depuis ce jour-là, nous sommes traités comme des criminels… Mais nous ne le sommes pas ; nous sommes juste des êtres humains et nous voulons simplement vivre dignement et faire vivre nos familles comme tout le monde ».