C’est le parti Authenticité et modernité, un des principaux partis de l’opposition, qui a pris l’initiative d’appeler les députés à renoncer à leurs salaires durant les périodes creuses, une initiative qui a suscité des interrogations quant à son sérieux. Le parti a même été accusé de faire de la surenchère politique. Le parti a fini par publier un communiqué officiel sur son site web, pour confirmer son initiative.
Nous avons évoqué le sujet avec Ahmed, fonctionnaire âgé de 43 ans. Il ne cache pas sa colère : « ils jouent avec l’argent du contribuable… C’est en quelque sorte de la rente politique ».
Deux poids, deux mesures
Ahmed, qui travaille dans le secteur de l’enseignement depuis près de trois ans, ajoute : «le chef du gouvernement n’a-t-il pas brandi le slogan du « salaire contre travail », prétendant que le Coran le dit? Alors qu’il commence à l’appliquer dans le camp des politiciens… Pourquoi le gouvernement nous a-t-il soustrait des jours de salaire après notre grève, en violation de la constitution et de la loi fondamentale de la fonction publique, alors que la grève n’était qu’une riposte au rejet de nos réclamations légitimes ? »
«Les salaires des députés pendant 4 mois de vacances ont coûté 56.880 millions de Dirhams (5 millions d’euros) à la caisse de l’Etat… Comment peut-on tolérer une chose pareille alors que la pauvreté et le chômage sévissent au Maroc ? » s’indigne-t-il.
Ahmed n’est pas le seul à critiquer cette situation. Les réseaux sociaux regorgent d’appels à redistribuer cet argent dans des projets en faveur des pauvres et autres nécessiteux.
Selon des statistiques récentes, effectuées au Maroc par «la haute délégation du Plan », le nombre de Marocains vivant sous le seuil de pauvreté est de 1,6 millions de personnes, ce qui correspond à 4,8 % de la population. 4,8 millions de Marocains vivent dans une situation précaire. 80 % des pauvres vivent dans des milieux ruraux, selon d’autres statistiques.
« Une simple proposition »
Concernant l’initiative du parti Authenticité et modernité, la députée Hayet Boufrachen, membre du parti, et huitième vice- présidente du parlement, a déclaré à «Dunes Voices » que ce n’était nullement une décision du parti, mais «uniquement une invitation, ou une proposition du bureau politique en réaction aux préoccupations de la rue marocaine indignée par l’octroi de salaires aux députés pendant les vacances. Ce n’est donc pas obligatoire, c’est facultatif, et c’est sérieux. Certains députés ont d’ailleurs commencé à le faire depuis fin janvier ». Et d’ajouter : « j’ai personnellement réagi positivement à la proposition, et je suis heureuse de pouvoir entrer dans l’Histoire, avec mon parti, par la porte de la solidarité avec le bien commun de la patrie… Certains ont d’ailleurs proposé, au début, d’ouvrir un compte au profit des projets de bienfaisance, mais après avoir consulté le ministère des finances, il s’est avéré qu’il y a possibilité de rendre l’argent à la caisse de l’Etat, à travers une lettre au ministre accompagnée d’un chèque, et ce avant le 13 février. Une liste des noms des députés ayant renoncé à leurs salaires sera rendue publique ».
«Nous n’étions pas en vacances »
Le député Omar Boumris, membre du parti de la Justice et du développement, estime, pour sa part, que l’initiative prise par le parti Authenticité et modernité équivaut à un aveu du parti que ses parlementaires ne travaillent pas pendant ce qu’ils appellent « vacances parlementaires ». Il ne rejette pas pour les initiatives, même symboliques, visant à préserver les fonds publics. Dans une déclaration à «Dunes Voices », le député affirme : «nous, députés de la Justice et du développement, n’étions pas en vacances… et nous avons commencé à travailler depuis l’annonce des résultats des élections législatives. Le travail parlementaire ne se limite pas aux fonctions législatives, diplomatiques et de contrôle… Il y a un travail quasi quotidien qui consiste notamment à communiquer avec les citoyens et à résoudre leurs problèmes au niveau des administrations centrales, régionales et locales ».
Des problèmes internes aux politiques qui n’intéressent pas les citoyens. Eux souhaitent avant tout en finir avec la rente politique et sortir du cercle vicieux de la pauvreté et de la marginalisation sociale.
L’amélioration des conditions de vie, notamment dans les milieux ruraux, doit, de l’avis général, figurer sur la liste des priorités du parlement. Mais les députés accepteront-ils de renoncer à une partie de leur revenu et faire ainsi un premier pas vers la réconciliation du citoyen avec la politique ?