Rendra-t-on justice à Imran ?
Le 21 décembre 2016, sous une omerta ténébreuse, un verdict est prononcé : celui d’une affaire qui, au mois de mars dernier, avait provoqué la colère de l’opinion publique. Le petit Imran a disparu, un soir dans un quartier de Casablanca. Des recherches poussées ont permis à la police de le retrouver le lendemain. Il était dans un trou, enterré vivant. Inconscient mais encore en vie, il a fallu des heures pour le réanimer. Peu de temps après, les forces de sécurité arrêtaient le coupable : un adolescent de 16 ans. Il avait violé l’enfant avant de l’enterrer vivant dans le but de le tuer et de faire disparaître avec lui toutes les traces de son crime.
Mais le verdict de cinq ans de prison ferme, prononcé par le juge pour ce crime, est jugée par beaucoup comme trop clémente et fort inéquitable pour la victime. En effet, le petit Imrane doit encore suivre des séances de psychothérapie après l’extrême violence psychologique et physique qu’il a subie. Les séquelles psychiques pourront diminuer, mais elles ne disparaîtront pas. Et il doit encore se soumettre à de nombreux traitements médicaux, notamment pour soigner de profondes contusions au niveau de la tête et du pied.
Contacté par téléphone, le père du petit Imran, Néjib fait part à Dunes Voices de sa déception : « Cette sentence n’est pas du tout satisfaisante pour nous et nous en sommes tous profondément choqués et frustrés. Hier encore, nous avons dû opérer une fois de plus la jambe d’Imran. Le viol et la tentative de meurtre dont notre fils a été victime nous font toujours souffrir le martyre et, depuis, notre vie de famille ne ressemble plus à ce qu’elle était autrefois ».
M. Néjib observe un moment de silence pour retrouver le son de ses mots étouffés par les larmes, avant de poursuivre : « La loi n’a pas été équitable envers nous et ne nous a pas rendu justice. Nous ferons appel de ce verdict et nous n’abandonnerons pas les droits de notre fils ; cinq ans de prison, c’est une période trop courte… Je sais que nous ne pouvons pas remonter le temps mais nous voulons qu’on nous rende justice et que notre fils, Imran, ainsi que les autres enfants soient protégés contre ce genre de monstres humains. Nous n’abandonnerons pas et nous essayerons d’obtenir gain de cause ».
Fatima, elle, est mère d’un autre enfant ayant été violé à son tour dans la ville de Fnidek, dans le nord-ouest du Maroc. Contactée par téléphone, elle fait part à Dunes Voices de toute sa solidarité envers la famille du petit Imran en disant, la mort dans l’âme : « Ils ont bafoué les droits d’Imrae comme ils ont bafoué ceux de mon fils. Je ne fais plus confiance à la justice désormais». La maman de celui que l’on appelle désormais « l’enfant du Fnidek » n’avait jamais imaginé que l’agresseur de son fils serait acquitté et cela bien qu’elle soit en possession de preuves du viol, d’autant que le prévenu avait déjà été condamné par une cour d’appel dans une affaire similaire à deux années de prison ferme.
« Ce jour-là, mon fils s’est rendu à l’épicerie pour m’acheter des œufs et c’est là qu’il a été violé par l’épicier. Transporté à l’hôpital civil de Tétouane, le viol a été confirmé et un certificat médical le prouvant nous a été délivré, avec une période d’invalidité physique estimée à 25 jours » confie Fatima. Par la suite, l’enfant a été soumis à une expertise psychiatrique qui a confirmé les différents troubles apparus chez lui une semaine après l’agression : énurésie nocturne, écoulement de sucs gastriques à travers la bouche pendant le sommeil, cauchemars à répétition, distraction en classe et difficultés de la concentration…
Un rapport récent publié par l’Association marocaine des Droits de l’Homme sur « l’exploitation sexuelle des enfants » révèle que le nombre total des agressions sexuelles sur les enfants est estimé à 1012 cas en 2016 (626 garçons et 386 filles), contre 954 cas enregistrés en 2015. Une indication que le fléau des abus sexuels commis contre des enfants est en hausse au Maroc, ou qu’en tout cas, davantage de cas sont signalés.
Selon le même rapport, les victimes sont âgées le plus souvent d’entre 5 et 14 ans. Il révèle aussi que 75 % des agresseurs sont des membres de leurs familles. Et, d’une façon générale, les agressions sexuelles concernent 80 % des cas d’exploitation des mineurs au Maroc.
Amina Chafîi, militante des droits de l’homme, fait remarquer par ailleurs qu’il manque au Maroc des études sociologiques et anthropologiques portant sur le phénomène du viol, ce qui induit l’absence d’un outil permettant d’observer le problème avec précision. Elle ajoute que plusieurs facteurs interagissent entre eux et peuvent expliquer les agressions sexuelles infligées aux enfants. Parmi ces facteurs, elle cite l’absence d’encadrement au sein de la famille, à l’école et à travers les médias, ce qui engendre d’importants changements au niveau du système de valeurs de la société marocaine, ainsi qu’une dévalorisation du respect de l’autre.
« Les fondements d’une éducation saine sont totalement absents au sein de la famille marocaine. Le rôle des associations actives dans ce domaine a sensiblement reculé aussi, par rapports à ce qui se faisait autrefois, de même que l’instituteur ou l’éducateur à l’école n’a plus de nos jours le rôle qu’il avait dans les années 70, par exemple… Et le pire, c’est qu’en plus du viol, nous pouvons observer d’autres phénomènes, pouvant aller jusqu’à la prostitution de ces enfants ou encore leur meurtre », explique encore Amina Chafîi.
La loi a-t-elle son mot à dire ?
Le droit criminel marocain n’évoque pas explicitement les expressions « agressions sexuelles sur les enfants » ou « exploitation sexuelle des enfants ». Néanmoins, il pénalise, via l’article 486, les actes d’attentat à la pudeur ou de tentative d’attentat à la pudeur infligés à un enfant de sexe masculin ou féminin âgé de moins de 18 ans et les punit d’une durée d’emprisonnement pouvant aller de 10 à 20 ans. Mais si l’agresseur fait partie de la famille de la victime ou qu’il exerce sur elle un quelconque ascendant, de même que s’il se fait aider par un ou plusieurs personnes dans l’accomplissement de son crime, l’article 487 du code criminel le condamne à être incarcéré pour une période allant de 20 à 30 ans. C’est également la même durée de réclusion qui sanctionne les cas de viol entraînant la défloration d’un enfant de sexe féminin.
Mohamed Charkaoui, avocat au barreau de Rabat, affirme dans une déclaration accordée à Dunes Voices que « la plupart des verdicts prononcés dans des dossiers en rapport avec des agressions sexuelles commises sur des enfants ne respectent pas avec exactitude les exigences de l’article 486 du code criminel, dans la mesure où les sentences décidées varient entre une année et quatre ans de prison, de même qu’il arrive parfois que les accusés soient acquittés faute de preuves et d’indices, selon le tribunal ».
Najet Anouar, militante des droits de l’homme et présidente de l’asssociation « Matkich Weldi », affirme pour sa part à Dunes Voices : « Il existe malheureusement des failles juridiques que l’on sait exploiter. Durant des années, nous avons essayé de soutenir ces enfants en faisant valoir leurs droits, ainsi qu’en leur fournissant un soutien psychologique. Cependant, la loi marocaine n’est pas de notre côté. En constatant que ce fléau ne cesse de se propager, l’association a tiré la sonnette d’alarme ; y a-t-il cependant quelqu’un pour prêter l’oreille? Là est la question… ».
Médecin psychiatre et assistante sociale, Halima el Mrabti plaide de son côté pour un traitement psychiatrique de l’agresseur, plutôt que pour une peine de prison. « Ce qu’il faut c’est le soigner, explique-t-elle. Très souvent d’ailleurs, c’est quelqu’un qui a vécu pendant son enfance une agression similaire, une situation qu’il a dû subir mais qu’il n’a jamais pu exprimer. Refoulée pendant plus ou moins longtemps, il arrive un moment où cette situation doit être « défoulée »… La solution qu’il trouve est de se transformer en agresseur après avoir été victime; c’est ainsi que le score entre les deux devient nul et qu’il se fait justice à lui-même, en faisant une autre victime ».
Des études confirment qu’un tiers des enfants victimes de maltraitances sexuelles se transforment eux-mêmes en bourreaux durant la pré ou la post-adolescence. Selon la même source aussi, il est à 80 % probable que l’enfant agressé connaisse une déviance sexuelle à la puberté.
« Telle est la raison principale mais elle n’est pas la seule. En effet, être victime de violences physiques est une autre raison possible, en plus de la situation sociale de la famille, en particulier dans les cas de divorce des parents ou de profondes carences sentimentales », conclut Halima el Mrabti.