Elle, c’est Khadîdja Bouhala, présidente du club vert de Ouargla qui, constatant que le parcours était périlleux, a pensé à en délimiter le pourtour pour le rendre plus visible aux automobilistes en plantant des arbres devant la plaque du STOP. Une aberration pour certains. « Vous voulez planter des arbres aux abords d’une palmeraie ? Mais c’est inconcevable madame ! » s’est-elle entendue dire.
« Chaque centimètre gagné sur le béton est une prouesse », estime- t-elle. Son action éco-citoyenne se poursuit depuis une vingtaine d’années faisant des émules auprès de la jeune génération pour qui, changer le visage hideux d’une ville saharienne de 300 000 habitants croulant sous les immondices (plus de 100 tonnes de déchets ménagers accumulés par jour) est devenu une nécessité. Une trentaine d’associations de la ville de Ouargla en ont fait le pari et à leur tête Mme Khadîdja Bouhala, présidente du club vert de la Maison des jeunes du 24 février et doyenne du mouvement écologiste dans cette région.
Green kids
Des générations d’écologistes ont été formées depuis 1995 par cette amie de la nature pour qui « le Sahara est un espace fragile qui ne mérite pas tant de pollution ». L’Algéroise qui a découvert il y a 40 ans le désert du Sahara tient à apporter son morceau de Tell à Ouargla en multipliant la plantation d’arbres et de fleurs dans les écoles, remplissant de verdure le moindre espace vide entre les bâtiments. A l’époque, ceux qui la croisaient avec sa petite armée de l’école Ibn Rochd, sillonnant la ville, munis de bèches et de râteaux n’y croyaient pas tellement. Mais le temps lui a donné raison. 27 ans après la création de son club vert, des dizaines d’enfants adhèrent de leur plein gré aux activités des différents clubs verts dont la première graine a été plantée par Khadîdja.
Evolution des comportements à Ouargla par rapport à l’environnement
Outre l’écosystème oasien constitué par la vieille palmeraie qui reste le poumon vert incontestable de cette cité saharienne millénaire, le bilan de la conservation des forêts de la wilaya de Ouargla pour la période allant de 2009 à 2014 fait état de 232 kms de brise-vent supplémentaires plantés sur les pourtours des agglomérations urbaines ainsi que trois hectares de ceinture verte et pas moins de 1292 hectares de plantations fruitières. La tendance étant bien évidemment au reboisement utile avec la mise en œuvre d’une politique d’encouragement de la filière oléicole soit un cap donné sur l’olivier. L’autre tendance impulsée par Mme Khadidja est le nettoyage systématique des quartiers les plus reculés. Ainsi Ain Beida, petite commune de 20 000 habitants constituant le portail du chef-lieu de la wilaya de Ouargla, a organisé récemment une vaste campagne d’enlèvement des ordures et d’embellissement. Ces campagnes relayées par les médias locaux, notamment Radio Ouargla, enregistrent un engouement populaire très remarqué notamment au vieux Ksar de Ouargla qui entame la quatrième semaine de la rénovation de sa façade ponctuée par la formation de quelque 56 jeunes volontaires dans la maçonnerie traditionnelle ksourienne.
Des quintaux de bouchons
C’est un bien beau tableau qui orne l’exposition des clubs verts de la wilaya de Ouargla organisée dernièrement. Le club vert du 24 février a tenu à y exposer une partie des bouchons de plastique ramassés en 15 jours en mai dernier. 300 quintaux de bouchons ont été récoltés durant cette campagne qui a connu un tel engouement que les 11 bacs affectés par l’APC ne suffisaient plus. « Le surplus a été récupéré par des artisanes qui en ont fait une belle dune et un lever de soleil » dit-elle. Cette initiation au tri sélectif n’a certes pas encore atteint les ménages et les institutions malgré le forcing des associations mais il est intéressant de constater que ces efforts ne sont pas restés vains puisque la ville de Ouargla a vu l’implantation, en décembre 2011 d’un centre d'enfouissement technique des déchets ménagers et assimilés dans la zone de Bamendil sur une surface de 20 hectares destinés à traiter les ordures des cinq communes du grand-Ouargla.
Les petits adhérents des clubs verts sont devenus adultes à présent. Leur implication n’a pas flétri. Beaucoup ont réussi leurs études, certains ont trouvé une vocation artistique, d’autres ont carrément été repêchés et sauvés de la délinquance comme ce fut le cas de Taqiddine, un petit garçon joyeux qui a versé dans les mauvaises fréquentations et la drogue au lendemain du décès de sa maman. Abandonné par les siens au pire de la crise, il est le témoin vivant de l’impact positif du travail communautaire, nous dit Yacine Lebbouz, président de l’association Ziabek. Taqiddine a, depuis, été adopté par une famille de Ouargla. Aujourd’hui il vient de terminer son service militaire et de reprendre son activité d’entraineur de taekwondo. Mme Khadidja qui le cite parmi les exemples de l’impact positif du travail communautaire sur les éco-militants l’a intégré dans la maison de jeunes qu’elle gère en tant que cadre de la jeunesse et des sports, après une formation de trois ans.
Beaucoup de temps est consacré à éduquer, à motiver et à inculquer les bases du tri des déchets ménagers, la plantation et l’entretien des plantes explique Khadîdja Bouhala qui a investi son temps dans les écoles primaires de la ville. Mais le vrai investissement de la dame verte est finalement plus subtil et plus complet. « Elle cultive la confiance en soi, l’esprit de groupe, l’amour de son prochain, l’entraide et la solidarité. Nous sommes une famille unie » synthétise Fatiha, une ancienne du club vert.
« Mme Bouhala est notre exemple à tous. Elle a inspiré les jeunes que nous sommes à appréhender la question de l’environnement dans sa globalité », déclare Salim un jeune activiste. Pour ce jeune venu à la vie associative il y a cinq ans « nous sommes convaincus que le développement de la société est un tout indissociable et que la propreté de nos quartiers passe aussi par l’ouverture à l’autre et la tolérance ». C’est pour cette raison que beaucoup d’énergie et de temps sont consacrés à parler et écouter les enfants. Des dizaines de jeunes activistes misent sur le travail communautaire dans les écoles, les maisons de jeunes et la rue. « A côté des arbres et des fleurs qui s’épanouissent, il y a des filles et des garçons qui sont les citoyens de demain ». Khadîdja, arborant sa médaille d’honneur du mérite pour son travail acharné sur le terrain, un prix décerné par le ministère de l’environnement en 2014, continue son œuvre. Elle vient de se voir attribuer la tâche de reboiser l’axe Saïd-Otba- Sidi Khouiled où 110 arbres ont été plantés. Son plus grand bonheur ? « Le jour où j’ai croisé un de mes anciens adhérents qui venait de convaincre des élèves de Sid Rouhou de laisser la vie sauve à un arbuste planté quelques mois plus tôt ! »