Lors de sa dernière réunion, le Haut conseil scientifique a annulé la fatwa, et publié une autre brochure intitulée « la voie des oulémas » dans laquelle les oulémas du Conseil développent une définition différente du concept d’apostasie.
Les oulémas du Conseil définissent « apostat » selon sa signification au temps du prophète, et désignant « celui qui quitte la communauté des musulmans pour rejoindre celle des polythéistes, ce qui pourrait dévoiler les secrets des musulmans et déjouer leurs plans. Ceci a conduit à tolérer sa mise à mort, puisque sa décision nuit aux musulmans sur les plans politique et opérationnel ». Dans leur dernière fatwa, les oulémas excluent ceux qui ont choisi de se convertir à une autre religion par conviction intellectuelle, citant un verset du Coran : « Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu : ils y demeureront éternellement » (verset 217 de la sourate Al-Baqara)
Mobilisation sociale
Selon des militants des droits de l’Homme, cette volte-face du Haut conseil scientifique est le fruit de la mobilisation d’un groupe d’activistes qui a pris la défense des minorités religieuses. Il a lancé un appel à la mise en place de ligues et comités civils pour contrer la première fatwa, semblable selon eux, à toutes les fatwas des courants terroristes prônant l’intolérance.
Les militants des droits de l’Homme ont également estimé que la première fatwa nuisait au processus démocratique et à la défense des droits de l’Homme, sabotant les avancées effectuées par le Maroc pour consolider l’esprit de la démocratie. Des avancées devenues concrètes à travers la constitution de 2011 élaborée à l’aide de la société civile.
Entre Coran et Hadiths
Mahjoub Mazaoui, chercheur en science ésotérique, estime pour sa part que la révision faite par le Haut conseil scientifique est « judicieuse ». « Le sujet de la mise à mort de l’apostat a fait couler beaucoup d’encre et suscité une multitude de débats entre oulémas. Certains d’entre eux commencent à réviser leur point de vue et à procéder à une nouvelle lecture de la question» note-t-il. Et d’ajouter : « Les oulémas ont estimé que le jugement de l’apostasie ne figure pas dans le Coran mais dans le Hadith et se sont, par conséquent, demandés : comment le Coran peut-il se taire sur un jugement aussi important alors qu’il s’est prononcé sur d’autres questions de la vie quotidienne ayant beaucoup moins d’importance ? ».
Selon Mazaoui « les oulémas ont conclu que la mise à mort de l’apostat était un châtiment pour une sorte de trahison nationale consistant à avoir rallié les rangs de l’ennemi, et non un châtiment pour s’être converti à une autre religion, bien que la formule (« celui qui a changé de religion ») existe dans plusieurs hadiths ayant traité de la question ».
D’après les oulémas, la question doit être traitée suivant le verset coranique qui suit : « Nul contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement » (verset 256 de la sourate Al-Baqara). Ils mettent l’accent sur la primauté du Coran sur les Hadiths, d’autant que le Hadith est en général considéré comme étant sujet à controverses et hérité du passé. Ils rappellent que la mise à mort de l’apostat, si elle vise la liberté de changer de religion en soi, est une sorte de contrainte qui est en contradiction avec l’énoncé et l’esprit du Coran.
Le Haut conseil scientifique a été fondé sous le règne du roi Hassan II qui a lancé en 2004 un projet intitulé « réforme du champ religieux » et procédé à la restructuration des institutions œuvrant dans ce domaine. C’est le roi lui-même qui préside ce Haut conseil comptant 47 oulémas, dont le ministre des Waqfs, celui des Affaires religieuses, ainsi que des oulémas notoires désignés par le monarque.