Jamel Sbhaoui, 30 ans, a connu le centre lorsqu’il a subi une intervention chirurgicale, il y a six ans. Il raconte ce qu’il y voit aujourd’hui : « Il suffit d’entrer par la porte principale du centre hospitalier de Sebha pour se rendre compte que les choses vont de mal en pis… Les fleurs violettes qui m’avaient tant charmé et fait oublier la douleur ont disparu du jardin. Et puis toutes ces files d’attente de citoyens entassés les uns sur les autres n’existaient pas auparavant… Au contraire, le calme était une des spécificités des lieux. Même fumer n’est plus interdit malgré les mises en garde accrochées partout ».
Contraint de faire une visite quasi-quotidienne aux différents services pour calmer les esprits, le directeur du centre, Dr. Abderrahmane Belhassane Arich, affirme de son côté à « Dunes Voices » : « Nous comprenons la colère des patients et de leurs accompagnateurs suscitée par la dégradation des services de base dans ce principal centre hospitalier du sud libyen. Même les promesses des gouvernements successifs à l’est et à l’ouest de nous donner des moyens pour améliorer la situation n’ont pas été tenues ».
Dr. Abderrahmane Belhassane Arich confirme le retard dans les processus thérapeutiques et au niveau des opérations, notant que ces retards sont liés aux fréquentes coupures d’électricité et à la pénurie quasi-continue de médicaments et de préparations médicales.
Grâce au PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) les retards en termes d’opérations chirurgicales sont désormais moins importants et les séances de dialyse plus régulières. L’installation, début février 2017, d’un générateur solaire d’une capacité de 50 mégawatt, a permis de garantir un fonctionnement en continu de l’électricité dans les services de soins intensifs et le bloc opératoire. Mais la joie a été de courte durée puisque les stocks de médicaments sont presque épuisés, ce qui a poussé le directeur du centre à déclarer l’état d’urgence et à tirer la sonnette d’alarme. Aux ministères de la Santé à Tripoli et à Benghazi, il affirme que l’infrastructure sanitaire dans le sud libyen est au bord de l’effondrement.
Dr. Omar Mrabet, directeur de la pharmacie au centre hospitalier de Sebha, n’a de cesse de lancer des appels de détresse, affirmant que le centre pourrait cesser ses activités sous peu. Dr. Mrabet explique, statistiques à l’appui, que la pénurie de médicaments touche tous les services, et que le centre n’est plus en mesure de fournir les services requis. Il a contacté, dit-il, tous les responsables, notamment le maire et les députés, pour les mettre au courant de la situation. Il espère que l’implication des citoyens et des associations et que la mobilisation sur les réseaux sociaux, contribueront à faire bouger, même partiellement, les choses.
Dr. Mrabet note que le centre est obligé de mener ce genre de campagnes tous les deux ou trois mois, « ce qui est extrêmement fatigant pour tout le monde, administration, médecins et patients confondus ».
Dr. Mahmoud Abdou, orthopédiste, explique quant à lui que le fonctionnement de bloc opératoire du centre dépend des aides mensuelles de la Croix rouge, des aides en nature, telles que les anesthésiques. « Ces aides suffisent à peine à faire opérer entre 50 et 80 patients, alors que la moyenne du nombre des opérations chirurgicales, nécessitant ces produits de base, dépasse les 300 » déplore-t-il.
Dr. Abdou affirme par ailleurs que les médicaments prescrits aux patients sont introuvables dans la pharmacie du centre et dans les pharmacies des hôpitaux du sud libyen. « Je parle notamment des médicaments contre l’hypertension artérielle et le diabète, des antibiotiques, et des médicaments pour enfants. Tous ces médicaments étaient fournis par l’état ce qui n’est plus le cas. Le citoyen est alors obligé d’aller les acheter dans les pharmacies privées, où les prix sont devenus exorbitants » note-t-il.
Dr. Abdou évoque également le problème de l’anarchie sécuritaire en affirmant que « le personnel soignant subit une violence physique et morale de la part des accompagnateurs des patients ». « Les choses peuvent aller jusqu’aux menaces avec les armes, ce qui a poussé le personnel à observer quatre sit-in l’année dernière, réclamant sa protection dans l’exercice de ses fonctions… Certains membres du personnel soignant ont même démissionné à causes des menaces proférées à leur encontre » dit-t-il. Seule bonne nouvelle dans cet état des lieux: « Les laboratoires et la banque du sang au centre ne cessent, depuis l’été 2015, d’exhorter les citoyens à faire des dons de sang, pour combler le manque dans tous les groupes sanguins. Ceci a permis de fournir les quantités nécessaires de sang pour faire face aux cas urgents ».
Du côté des patients, la crise financière qui frappe le pays contribue à accentuer le malaise. Le jeune Mohamed Abdallah raconte pour sa part : « Je n’ai pas d’autre choix que de ramener mon père, qui souffre de calculs rénaux, dans cet hôpital. Il a besoin d’être opéré et l’opération coûte 1500 dollars, l’équivalent de 2000 dinars libyen, avant l’effondrement du cours du dinar. Aujourd’hui, les 1500 dollars correspondent à 10 000 dinars… Où est ce que je peux trouver une somme pareille ? ».