Les droits des enfants nés hors mariages ont, en effet, longtemps été bafoués au Maroc. Surnommés « bâtards » ou « fils de l’adultère », ces enfants ont toujours été considérés comme un fardeau pour la société. La mère, pour sa part, est mise à l’index, même si elle est victime d’un viol. Pour la société, et selon les lois en vigueur, la femme est responsable, tandis que l’homme, protégé par les coutumes et le système juridique, n’a à répondre de rien. L’enfant, lui, paie les pots cassés toute sa vie.
L’avocat et militant des droits de l’Homme, Naoufel Bâamri affirme : « Le verdict du tribunal de Tanger est une première qui fera jurisprudence dans les affaires similaires, devant tous les tribunaux marocains ». Et d’ajouter : « Ce verdict s’est référé au troisième article de la constitution marocaine et à la Convention européenne de Strasbourg sur la protection des enfants, en dépit de l’article 148 du code de la famille, qui considère qu’une naissance hors mariage ne donne lieu à aucune conséquence juridique ».
Pour Bâamri « le verdict reflète l’adhésion de la justice marocaine au système universel de protection des droits de l’Homme et le triomphe de la constitution qui confirme la suprématie des conventions internationales sur la juridiction nationale ». « Ceci ouvre un débat sur l’importance de la compatibilité de la juridiction nationale avec les conventions internationales » note-t-il.
Droit à la filiation
Les détails de cette affaire sont classiques : la victime a été violée par un homme d’une famille aisée et influente. Elle est tombée enceinte et a donné naissance à une enfant que le violeur a refusé de reconnaitre. Suite à une requête de la défense, le tribunal a ordonné une analyse ADN qui a prouvé le lien génétique entre le nouveau-né et le violeur.
Abdelaali Al-Rami, président du Forum de l’enfance, affirme, pour sa part : « nous sommes extrêmement favorables à ce verdict vu que la paternité est prouvée par un test ADN et que le tribunal n’a pas contraint le père à la prise en charge financière mais uniquement à payer un dédommagement ».
Al-Rami note que « le troisième paragraphe de l’article 32 de la constitution de 2011 stipule que l’Etat œuvre à garantir la protection juridique et la considération sociale et morale à tous les enfants, sans exception, sans tenir compte de leur situation familiale ». « Malheureusement, le droit marocain n’évoque nullement le sujet des enfants victimes des fautes de leurs parents… Nous avons besoin d’une loi qui garantit au moins que ces enfants bénéficient d’une prise en charge financière, au cas où la mère ne travaille pas, et aient des papiers d’identité… Ne pas trouver un mécanisme de protection des droits des enfants nés hors mariage mènera à l’enracinement du phénomène des sans-abri et des enfants abandonnés » ajoute-t-il.
Une lueur d’espoir
Pour rendre son verdict, le tribunal de Tanger s’est référé à la jurisprudence islamique, spécialement au malékisme qui soutient la reconnaissance de la filiation au père quelle que soit la nature de la relation entre le père et la mère. Le tribunal s’est basé aussi sur le verset 5 de la sourate Al-Ahzeb : « Appelez-les du nom de leurs pères : c’est plus équitable devant Allah » et sur nombre de hadiths allant dans le même sens. Le tribunal s’est également référé aux conventions internationales ratifiées par le Maroc, garantissant le droit de l’enfant à connaitre ses parents et à avoir une identité, et à la constitution dont les articles de 142 à 148 évoquent la filiation légitime et celle illégitime. Et c’est dans le cadre de la filiation illégitime que la paternité dans le cas d’espèce a été reconnue.
De son côté, l’activiste de la société civile, Souad Chantouf, affirme que « le verdict est une lecture et le reflet d’une société, conservatrice certes, mais riche par le combat des activistes des droits de l’Homme en général et celui du mouvement féministe en particulier pour faire valoir les droits des enfants et veiller au respect des conventions internationales ratifiées par le Maroc. La question des mères célibataires bouge lentement ce qui reflète le machisme et la schizophrénie de la société, et le désistement des politiques publiques à trouver des réponses pertinentes à des attentes réelles ». Elle poursuit : « le verdict du tribunal de Tanger est un tournant qui marque un moment exceptionnel au sein d’une société conservatrice et machiste… C’est une lueur d’espoir puisque la justice a fait triompher le débat rationnel sur un système jurisprudentiel fondamentaliste qui ne privilégie pas l’intérêt de l’enfant ».
« Ce verdict reflète une autre face du corps judiciaire : la face animée par le système des droits de l’Homme et par une vision complète de la justice et de la dignité humaine. Mais il ne faut surtout pas trop focaliser sur le débat juridique et jurisprudentiel qui ne s’arrêtera pas. La procédure d’appel nécessite plus de mobilisation, plus de vigilance et davantage de soutien aux éclairés de la sphère conservatrice de la justice » conclut-elle.
Hind Sebaîi Idrissi